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La fabrique des objets disparus

Ne s’approcher ni ne s’éloigner de l’objet mais rester à égale distance des relations qu’il indique. Ces relations ne sont que des « configurations1 » possibles, sans formes, sans continuités, sans identités précises. Ainsi la création de l’objet se fabrique sous nos yeux en lui donnant une consistance continue. Il acquiert une désignation relationnelle et devient cause.

Se souvenir de l’objet par la transposition qui le fabrique trace le chemin d’un apprentissage pour l’être, une transmission en train de se former. D’un ensemble de relations incertaines il se transforme en un objet ayant une forme, une identité, une continuité précises.

L’être, par le biais de la mémoire ou de tout support qui favorise un accès continuel à l’objet, atteste l’existence des propriétés de ce dernier. Elles le constituent comme présence permanente. Il devient vrai temps qu’il continue son existence indéfiniment ; il se forge un nom, qu’il reçoit comme un don, aussi solide et tangible que l’objet lui-même.

Disparaître

La mémoire ne retient pas l’objet avec l’ensemble de ses propriétés. Ce qu’elle retient est la chose qui est dans l’objet d’où cette impression qu’il existe une essence, une substance dont le nom donné en serait une des traces, une des clefs. Ce qui reste dans la mémoire n’est pas l’objet en lui-même, mais sa substitution sous forme de chose laquelle devient préhensile quand l’être se la représente à lui-même. Dès lors ce qu’il cherche dans la chose est l’oubli de l’objet, ce qui auparavant lui avait donné forme, identité, consistance, sens par-delà la continuité même pour ne plus devenir qu’une trace, une clef peut-être.

De la disparition de l’objet, cette chose « interne » génère une relation totalement différente pour l’être qui l’observe. Elle devient celle qui modifie « ce qui est » tout en affirmant qu’elle préexiste à ce qu’elle est en train de modifier. Il en résulte une incertitude liée aux modifications qu’elle établit, et, elle induit le besoin de valider la certitude de ces modifications incertaines en présences certaines.

La chose de l’objet

Une chose est définie en tant qu’objet par l’ensemble des propriétés qu’elle lie à cet objet tout en étant indéfinie en tant que chose en elle-même. La définir serait absurde, il n’y aurait plus de place pour la deviner. Elle est une parce qu’elle est présente comme chose indéfinissable dans chaque objet pourtant connu par la définition de ses propriétés.

Cette chose ne peut être différente d’elle-même sinon elle procéderait à la configuration d’un autre objet qui ne serait plus ce qu’il est, mais autre chose. Elle est semblable à elle-même en tant que configuration. Elle solidifie l’ensemble des propriétés en objets. Lorsqu’une propriété différente surgit ou apparaît qui modifie la structure de cette configuration donnée par la chose alors ce qui est continu dans l’objet se modifie afin de faire apparaître une variation sous la forme d’une temporalité.

Par la modification des propriétés de l’objet dans la continuité, ces différences attestent qu’elles ne sont que des états temporaires, non continus d’une même configuration, mais dont l’organisation peut varier et changer en dévoilant une suggestion temporelle.

Des possibilités temporaires

Parce qu’une chose est possible, l’être est concevable. « Ce qui est » produit « est » par la grâce du temps. La temporalité rend probable l’existence des objets et des êtres. Elle rend envisageable l’existence de la chose en ce qu’elle différencie leurs perceptions organisées de la continuité : les êtres comme les objets sont soumis au passé, au présent, au futur. Elle structure leurs variations de leurs configurations alors que la chose n’est soumise à aucune modification des temps. Mais la chose que nous, êtres, reconnaissons dans les objets, en modifiant leurs perceptions, par le biais de la continuité, désigne une série de changements d’états qui ne nous expliquera jamais ce qu’est cette chose.

L’objet est un espace qui se continue dans le défini. Il se délimite par rapport à un autre espace qui se continue et se détermine comme une chose à connaître… Il a été rendu possible en ayant une configuration précise donnée et par l’être qui l’observe et par la chose qui le contient dans l’expérience de la continuité. Cette forme générale de la présence peut s’identifier à une vérité. Sans cela objet et chose ne seraient qu’une variation continuelle dont le passage vers le temporel de simple configuration à définition serait impossible.

Tout être vivant est dans l’expérience du possible par le biais d’une chose impossible qui est toujours la même, mais tout le temps différente quand elle devient objet dans un espace qui la continue. Une chose ne peut produire que des objets apparents qui sont semblables à elle-même en ce qu’ils la représentent par leurs formes qui se prolongent dans la temporalité des continuités. Ces mêmes objets se subdivisent et se rassemblent en autant d’expériences lesquelles déterminent toutes, par leurs durées diverses, les lieux où ils se fixent dans l’immédiat.

L’ expérience du possible

Par l’expérience du possible, une chose ne cesse de se transformer et d’évoluer en se subdivisant en autant de configurations d’objets dont les représentations sont, ont été et seront par combinaisons, divisions et variations. Ces multiples assemblages exercent une tension vers la constitution d’une temporalité à l’intérieur d’une continuité spatiale qui, à son tour, tend vers la constitution de multiples propriétés. Ce qui garantit à la chose sa présence quelle que soit la configuration qui se forgera, qu’il y ait ou non une intelligence laquelle, par la répétition des expériences du possible, atteste ou non sa présence de manière récursive. Ceci suppose que les objets qui se combinent en exerçant une tension vers la connaissance ne sont pas connaissances pour la chose mais uniquement pour les êtres qui en déduisent cette tension à partir des objets.

Si les objets exercent une tension vers la connaissance dans le réel de leurs lieux créant l’expérience du possible, et, si l’être exerce, en retour, par répétition, une tension vers la connaissance de ceux-ci, il en résulte que la connaissance de cette connaissance qui se répète à travers l’expérience du possible n’est que le voile perçu qui protège la chose en elle-même et par elle-même : l’objet a bien disparu.

Et plus il commence à percevoir ce voile plus il pose des questions relatives à la chose voilée.


  1. Dans le sens où l’entend Erwin Schrödinger dans son texte de 1935 « La situation actuelle en mécanique quantique ». Que les choses soient bien claires : si je trouve sa définition de la matière intéressante, je ne sous entends pas que ce que j’écris fasse allusion à la mécanique et/ou à la physique quantique. Bref, c’est une utilisation de circonstance dont je retiens la beauté de la définition et qui, par contre coup, stimule et modifie la manière d’écrire ce texte. Beaucoup d’esprits s’échauffent depuis l’apparition de ce terme « magique » au sens fort : « quantique ».↩︎