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L’expression des voiles

Chaque objet est extrait d’une chose qui le meut afin d’être un ensemble de propriétés exprimées par une chose. Elle engendre une série d’expériences lesquelles tendent vers la complétude tout en suggérant qu’il manque à ces objets quelque chose.

Telle est l’exposition d’une chose : chaque expérience du possible qui atteste la présence d’un objet dans un lieu exerce une tension vers la connaissance. Elle souligne que ce qui manque à une chose est son objet. Pour palier à ce paradoxe du manque, l’être voyant d’abord l’objet puis subodorant une chose a besoin de compléter cette expérience par des séries répétitives. La connaissance d’une chose est, en partie, l’ensemble de ces expériences qui se manifestent sous des formes apparentes de ces mêmes objets présents. Elles indiquent la disparition de quelque chose. Pourtant l’être qui a observé les propriétés des objets ne se souvient que de leurs apparences sous forme d’une chose indistincte.

Les différentes expériences du possible qui se manifestent par un ensemble de propriétés forgeant des objets se singularisent par cette apparence comme éléments de compréhension. Autrement dit, les propriétés liées par la tension qu’exerce une chose ne peuvent aboutir qu’à une compression plus abstraite saisie sous la forme de noms afin de distinguer les objets entre eux d’une chose.

La conférence des noms

Le nom contient en lui-même un résumé si dense d’une chose qu’il en perd presque sa signification lorsqu’il est utilisé. Pourtant il doit rester à égale distance et de l’objet qu’il désigne et de la chose voilée qui l’appelle. L’ensemble des noms possibles des objets ne sont qu’une seule et même chose. Une chose est toujours une tension vers quelque chose d’autre attribuée d’une manière différente mais équivalente à elle-même. Le nom est constitué de telle sorte qu’il puisse s’assembler selon des configurations précises qui sont propres aux expressions formulées d’une chose1.

Lorsqu’elles se répètent dans une série d’expériences du possible alors le contenu qui apparaît peut devenir un mot commun. « Ce qui est  comme une chose » ajoute une signalétique qui définit ce mème mot à travers une série de répétitions liée aux objets. Elle se réplique d’un objet à l’autre faisant apparaître l’équivalence mimétique entre les configurations conjointes à une ou plusieurs séries.

Un nom qui est comme une chose dépend du résultat de l’expérience contenue dans un objet qui désigne, selon la réplication d’une équivalence, une tension vers la connaissance afin de retourner, une fois distinguée, vers la confusion initiale : celle de la chose indéfinie. Pour le nom, la science des relations entre choses constantes est possible ; pour une chose, cette science ne peut être cela.

Un nom se subdivise en autant de réplications de lui-même. Il régit l’ensemble des objets en leur conférant un communauté qui se nomme afin de réduire l’expérience du possible par transformation du multiple en un objet unique.

Nouvelles tensions

Les noms déterminent les expressions de l’objet afin de devenir ce qui est pour l’être qui les observe. Ni les configurations précises ni l’expérience du possible ne peuvent être une connaissance, uniquement des éléments de compréhension qui tendent vers un forme quelconque de représentation d’elles-mêmes : chaque nom communauté, qui représente un ensemble d’objets, est devenu une réplication de lui-même à l’intérieur de son « ensemble ».

Les noms sont la quintessence d’une chose. Ils suggèrent ce qu’est une chose sans la connaître. Telle est l’étrange comportement des propriétés chargées de définir les différents noms. Ils exercent une tension vers l’extraction d’une chose afin d’en tirer une connaissance dont les propriétés ne seraient que la forme lointaine. Elle dépend de cette chose et est telle que chaque nom puisse se reconnaître en elle comme un agencement précis qui s’extrait d’elle-même. Et de cet agencement chaque nom atteint la quintessence de sa propre forme selon l’organisation présupposée d’une chose comme si le nom attestait de l’organisation de la chose une alors qu’elle ne peut être que configuration sans organisation, mais elle permet l’apparence d’une organisation au sein même des noms.

Le nom est ectype, non pas archétype

Cette quintessence est l’ectype2 des noms, elle est l’élément de compréhension par lequel s’affirme ce par quoi une chose est constituée dans le réel. Elle est l’orientation vers l’existence présente qui atteste et valide les séries d’expériences du possible suggérant la possibilité de cette naissance mutuelle entre la chose, l’objet et l’être qui les observe. Une chose est ce qu’elle n’est pas, attirée dans le réel par le nom qui définit autre chose que ce qu’elle est.

Le nom est cette règle générative qui permet à l’être de nommer les objets dont les réplications démultiplient les configurations précises ainsi que les expériences du possible. Sans mettre de noms sur tout cela, il serait impossible à l’être d’embrasser chacune de ses configurations possibles. Ainsi fabriqués, les noms voiles, rendus à la hauteur de la perception de l’être, deviennent ce par quoi l’être soumet ses perceptions à une organisation qui se structure comme un langage régulé par ses propriétés. Tout nom est un moyen de transgresser une chose et tout ce qu’elle présuppose et représente : aller au-delà d’elle-même pour modeler une nouvelle nomination afin de produire d’autres régulations et ainsi de suite. Un nom est aussi complexe que l’être qui l’énonce tandis qu’une chose est simple et sans nom.

Un nom apparaît comme un système qui s’organise par le biais d’une langue qui saisit tout ce qu’une chose n’est pas tout en étant au cœur de la fabrique des objets ; il contient ce qu’il a lui-même oublié. Pourtant chaque système est un ensemble de noms et de configurations possibles sans lequel une chose ne peut s’organiser dans un langage. En devenant autre chose que ce qu’elle est, une chose contribue à sa propre disparition3.

Tout système qui se structure réfute une chose, même simple : telle est la seule loi, s’il doit y en avoir une, pour une chose. Plus elle laisse à la configuration un agencement de ces éléments constitutifs qui se complexifie moins elle est. Alors que pour l’être, une chose exerce une tension vers la connaissance ; pour elle-même, elle exerce une tension vers sa propre disparition.


  1. C’est la paraphrase, plus ou moins correcte, du verbe « définir » selon le Larousse analogique.↩︎

  2. qui se réfère « physiquement » aux choses, aux données du réel. Le contraire de l’archétype, principe métaphysique antérieur et supérieur aux choses.↩︎

  3. Anaximandre, rapporté par Simplicius, : « Les choses hors desquelles est la naissance aux choses qui sont, par ailleurs, sont celles vers quoi se développe aussi la ruine, selon ce qui doit être : les choses qui sont, en effet, subissent l’une de l’autre punition et vengeance pour leur injustice, selon le décret du temps. » Fragment 11 A1 pour l’édition Colli/l’Éclat ; A IX pour l’édition Dumont/la Pléiade.↩︎