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L’annihilation

Tout doit disparaître : le texte, les sons, le sens, les phrases, la grammaire pour enfin espérer apercevoir l’horizon.

L’interférence

Chaque mot est une interférence pour lui-même. Il s’insère dans le jeu de la signification par strates successives à la poursuite du sens caché dans le son. Dans chacune de ces couches il perd un bout de ce qu’il connaît comme s’il fallait qu’il soit son propre palimpseste. Il s’oublie. Le mot seul n’a pas de sens connu, il n’est qu’un agrégat de sens plus ou moins connus, plus ou moins perdus. Il est l’art d’une logique de la répétition et une tautologie de la fragmentation. Il est le matériel d’une transmission qui s’accroche à lui, encore enfermée à l’intérieur du sens caché où il espère faire entendre le signe.

Lorsqu’il fait signe, il devient différent du mot, englobant dans celui-ci et le signifiant et le signifié (Saussure), ou, selon le grammairien indien Bhartrhari, contenant l’expression individuelle rattachée à sa racine universelle. Pour ce dernier l’universel, ou jati en sanskrit, n’est pas « ce qui peut s’appliquer à tous et à toutes » (wikipedia), « ce qui peut embrasser la totalité des êtres et des choses» (cnrtl, centre national de ressources textuelles et lexicales). Il est, au contraire, un choix fait par défaut à cause du manque de certains concepts liés à l’utilisation de la langue.

Ce qui se lie entre l’universel et l’individuel, entre le signifiant et le signifié est un conglomérat agglutiné de nombreuses significations non pas clairement définies, mais sous formes de schémas aux contours flous. Ainsi ce liant peut construire et fabriquer des sens qu’il donne à des images, des émotions, des mots, des notions qui ne correspondent jamais au mot lui-même, à ce qu’il est censé dire par sa définition. Cette liaison se compare, en conséquence, à l’expression du rêve. Durant notre activité diurne, nous agrippons tout une série de significations puis durant le rêve celles-ci se lient entre elles en une sorte d’histoire plus ou moins cohérente, saugrenue. Si le liant est une activité universelle, l’expression qu’elle signifie, elle, est individuelle selon la psychanalyse. Faire signe se résume, d’une certaine manière, à l’activité créative du lien.

Le signe-lié reflète, réfléchit la direction voulue et amenée par la personne qui l’écrit ou le prononce. Tel le passeport de l’exilé de Brecht, c’est une forme extérieure qui lui fournit le sens. Il perd ainsi le réel qu’il tente de transposer pour apparaître comme l’administration d’un langage qui le désincarne de sa personnalité. L’être croit posséder un langage parce qu’il parle mais, en fait, c’est le langage qui le possède et le conduit. L’être n’est qu’un passeur, un entrebâillement du signe-lié. Il se transforme en un mot-balise qui transporte quelque chose qu’il ne contient plus : ni le mot ni son énoncé ni le signe. Il prend cette forme usuelle parce que le mot-balise s’inscrit dans l’ailleurs de la compréhension. En enlevant et ce qu’il signe et ce qu’il “lie”, le mot ne dit plus rien. Il n’est que le signal technique, une trace gravée ou énoncée sans rien d’autre.

La trace est le parfait corollaire technique du signe. Elle en réduit sa polysémie. Sournoisement, ils s’assemblent dans le mot-balise et se modifient en une sorte de balise ayant le sens de l’expression. Ils annoncent une identité qui ne leur appartient pas et qu’ils se chamaillent. Ils s’approprient le matériel de la transmission par intérêt et saisissement de l’apparence. Ils clament, chacun à leur tour, être le mot même du langage, son lien de signification, tout en retirant à l’autre toute propriété en affirmant que ce dernier s’interfère avec le sens. Ils se désignent mutuellement comme directions des affirmations parce qu’ils ne veulent pas se vider du sens qu’ils entendent délivrer.

Si le mot est vidé de tout sens, il reste encore quelque chose qui lui est propre : la liaison. Chacun sait ce qu’elle représente, mais en lui enlevant, à son tour, sa représentation, qui est une projection graphique, il ne restera plus qu’une chose du genre dessin qui ressemble à s’y méprendre à une forme. Celle-ci signifie encore quelque chose, ce fameux sens caché que beaucoup tentent d’entendre.

Lorsque plus rien ne représente et le signe et ses liaisons, le mot élaboré ne peut plus s’inscrire sur n’importe quel support. Seul reste la trace du support. Elle définit l’endroit même où se loge l’interférence. Elle s’entend sans aucun son, aucun signe ni aucune balise qui la signale.

La balise

Le mot-balise, formé par un ensemble de signes et de liens, se ratatine en une définition originale de l’expression laquelle est à la fois un mélange, une compression, un ajout, un mixage, une réduction, une contraction, une substitution, une élongation, une interférence de ce qui doit être gravé dans les lettres. Il n’est en rien précis, il est une vague représentation qui ouvre la porte à une série d’interprétations qui ont toutes un sens possible. Il veut être la validité de la démonstration qui déboucherait sur la vérité alors qu’il n’est qu’incertitude et dégradation, apparition et perte continuelles de sens.

Charmées par cette élégante construction à la “Monsu Desiderio”, de plus en plus de personnes voudraient en faire un symbole afin d’en être la partie manquante, et, de leur union naîtrait la véritable signification du mot. Ainsi il n’existe plus une seule forme de perception, de création qui ne soit pas symbolique ! Le mot devient alors cet étranger qui ne parle plus à l’être qui l’énonce par sa définition, mais par l’inscription symbolique dont il est l’ objet. Dépossédé de toute identité, il perd toute envie de réalité au détriment du symbole. Il n’y a plus de reconnaissance, d’appartenance au réel. Il n’est plus l’ectype, mais l’archétype.

Le mot, devenu malade du sens par le biais du symbole, s’offre à l’autre qui tente de le guérir pour en dénicher l’expression significative. Cette organisation sociale du symbolique, sursaturée de signes en attente de parlers, est l’essence même du mot-balise. Sorte de contrat immatériel qui scinde toute chose, tout être en un manque à la recherche de son lien d’expression significative indispensable et complètement intégrée à notre monde. Vivre sans cet autre qu’est l’organisation sociale du symbolique qui nous unit, nous lie, c’est supprimer, sevrer par la violence la part du réel qui nous manque. C’est défaire l’être de toutes ses capacités d’expressions. C’est lui enlever une partie de lui-même.

Le mot-balise s’emploie, dès lors, comme un réflexe pavlovien. Il n’est plus ce mot qui définit quelque chose, mais une balise que tout un chacun transporte, que tout le monde peut vérifier. Un cadre parfait pour l’assertion de ce qui est connu sans aller au-delà – d’ailleurs la métaphysique ne peut être que l’échec même du réel défini par les mots contenus dans cette balise. Il est tout, à la fois tout le monde et personne. Il appartient à la communauté qui l’utilise comme référence à sa propre norme. Il est parfaitement observable et dicible, démontrable et applicable. Sa grammaire est communication et son information est technique.