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L’appel : retour à la grotte

Perdre l’horizon

Derrière les horizons cachés, surgissent, près de quelques furtifs dessins, aux contours illuminés par la lumière, les traces de futures figurations dont les lois, encore secrètes, n’indiquent pas une direction. Les orbes ensorceleurs du sens agglutinent ces figures inscrites en un seul et unique symbole : celui qui n’a pas encore été nommé. Il pénètre la conscience comme l’eau le sucre. Ces inscriptions, serties de leurs histoires non encore contées, protègent silencieusement l’équilibre que perturbe l’enchevêtrement des futures lettres, avides de sens à connaître. Pâles lumières d’un savoir encore éloigné, elles se mélangent lorsque le regard de l’esprit croise dans ce miroir fragmenté l’écrit qui s’approche du mot.

Spéculaires sont les poussières qui recouvrent ces inscriptions à la recherche du mot. Elles se transforment en fines gouttelettes cristallines qui survivent aux textes. Ces ondées liquides existent comme un secret à découvrir tant elles sont perdues dans les broussailles de l’entremêlement des savoirs, elles courent et voltigent vers ce qui fut et ne fut jamais. Elles scindent la signification en parois pulvérisées où s’inscrivent les premiers canaux d’un assemblage morcelé : fleurs allusives annonçant les temps nouveaux, elles arrivent chargées de sens qui ne sont plus suspendus partout et nulle part. De cette myriade de couleurs sensuelles, elles commencent à se souder entre elles en une danse sacrée où se condense l’amoncellement des traits.

Lorsque le mot, qui n’a pas encore de nom apparaît, transformé par les traits condensés, se modifie en bribes de lettres, le sens parvient à l’éclat telle une lumière scintillante. Il n’est plus le souffle de l’ombre et il n’appartient plus déjà au savoir. Désormais il possède ce que personne ne veut réellement. Ces bribes de lettres, qui ne sont pas encore des mots, recueillent les poussières significatives et transmettent le vertige de cet étrange message qui commence à s’ériger en figures tracées. Il s’échappe d’elles une plénitude qui se transpose partout où elle le pourra mais, surtout, là où le substrat qui supporte ces traces de souvenirs peut annoncer le rêve surpris d’un semblant de texte.

Les vestiges de ces projections graphiques, nées de traces sensuelles, chuchotent à la lettre son devoir : entamer le code spéculatif des turbines cervicales, se détacher de la tourbe des traces pour aller vers l’éclat du trait. En une vision accélérée, les sens, non encore clairement définis, tourbillonnent telles ces ondées liquides dont le désordre sulfureux questionnera pour longtemps l’esprit de la lettre qui se voit en miroir dans le rêve. Entre frottements suaves du souffle et les perles cinglées d’un lyrisme discontinu qui explose, le rythme percussif des traits s’énoncent dans une cavité buccale pour s’élancer dans le dire.

Le son est la trace sonore de la projection graphique du trait qui est en train de se construire. Là, au seuil des fréquences basses et hautes, vogue l’incroyable façon de fabriquer une parole creusée. Elle reçoit et de l’onde et de la graphie projetée des formes qui se détacheront petit à petit de tout lien avec le réel. La lettre, devenue attachante, veut acquérir le sens par goût du détachement. Elle ouvre la potentialité de ce fluide flou et orage musical qu’est le texte. A chaque sonorité où se pioche le trait, future figure, un système labyrinthe s’élabore, à chaque dédale de lumière enchevêtré d’ombres sonne la préhension de mots qui ne résonnent pas encore avec l’humain. La compréhension ne se répercute pas encore dans celui-ci. Moment intense de perdition.

Dé-li-re, dé-li-er

Les traits assoiffés de mots se perdent en un long et lent écho. Ils se répètent à l’infini dans le son ; leur quête est celle du sens. Il est comme une morsure aux ailes éparses, il laisse sur le texte quelques traînées de compréhension tout comme le serpent traîne sur le sol sa vague. La direction du trait s’achemine sur le dédale du support en une myriade de souffles hétéroclites, de poudres scintillantes. Là et ici, au loin et partout, de petites morsures graphiques recouvrent les chemins comme une voix à prendre, une direction qui crayonne la terre telle un labour qui de l’incarnation veut le gravé.

Traces perchées sur la cadence d’une horloge atrophiée de son temps, tout se fige en une écriture. Elle couvre la vibration telle un masque au passage obligé, il n’est plus que le métronome de l’écoulement. Alors le chemin tracé, qui se prend avec l’humain, se compare à la temporalité : il se replie sur lui-même pour former une limite. Les codes du sens surgissent de cette folie qui s’allie aussi bien avec le temps qu’avec l’espace. Lorsque la jonction arrive, ce lieu qui indique et la clairière du bois et celle du sens, le mot se détache du reste. Déchu de son universelle intemporalité il se replie vers la mémoire, l’histoire.

Message hiératique d’une expression en train de s’ouvrir, il est flux et reflux de l’ignorance et de la connaissance. Il s’achemine dans un en dehors qui se veut absolu, détaché de tout, autonome et indépendant. Il plaide l’universel comme forme d’expression de son unique sagesse. Il multiplie les contenus et diffuse avec pédagogie la sérénité de son univers utopique : s’unir avec celui, celle qui recevra comme indication la compréhension.

Le mot se contient en lui-même et vibre par le biais des traits, transmutés en cordes de résonances. il rebondit entre chaque trait telle une cascade de lettres qui se bousculent en de multiples vagues sonores et liquides. Atteignant les rivages de la vibration du trait, elles éclatent, une à une, le sens qu’elles contiennent. Ce sens, d’abord ombre, inexistant, souffle vers lui-même afin de dégager sa forme cristalline enchanteresse : joyeux ballet de rayons lumineux qui éclaircissent les cordes vibrantes de la mélodie du sens. Il dessine tout autour de ce doux rayon de lumière sa forme dansée. Rythmes et scansions des vagues s’étalent jusqu’aux vibrations afin d’entonner la figure. Elle construit, à son tour, les rebords qui délimitent le plein du vide, le sens du non-sens, le quelque chose du rien. Les perceptions récupèrent cette figure, née de la danse des formes, et séparent le précipice du vide en le bordant en un précipité du sens, quitte à le figer. Une langue musique s’annonce comme l’articulation d’un temps où ni l’une ni l’autre ne sont séparées (voir les néandertaliens chanteurs).

Vertigineux bords de la lumière où plane l’accord mystérieux des phrases notes. Ces divinités liquides et harmonieuses entament déjà la discussion sur ces balbutiements intempestifs. De rares et furtifs rayons de connaissance vacillent et les éclaboussent, ils leur donnent la fraîcheur d’une cascade de mots, véritables cristaux liquides aux reflets multiples de mille et une histoires à scander.