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Délivrer le message du continu

Passer d’un état à un autre tout en conservant ce qui est possible de l’être

Suite du texte « Délivrer la composition du message »

Chaque système qui se reproduit expose une structure en train de s’organiser afin de s’extraire d’une chose comme une entité distincte de celle-ci quand bien même il est constitué par une chose. Il se forme en se détachant des configurations afin de structurer des phénomènes réguliers par des séries de copies en train de se modifier. Ces états constituent les points de référence d’une chose qui a changé d’état.

Il existe, peut-être, d’autres états que ceux décrits ci-dessus ; cela dit, je peux imaginer d’autres points de référence, mais je suis incapable de les= décrire ou de les exprimer parce qu’ils seraient complètement en dehors de mon expérience en tant qu’entité biologique à l’intérieur d’un système spatio-temporel.

Ces points de référence vont se préciser en objets selon le « décret du temps » ou encore selon cet infime décalage, cette minuscule variation qui se propage entre deux états distincts : la configuration et sa prise de forme, d’espace et de temps. La prise de forme est donc cette asymétrie ou encore cette oscillation qui modifie la variation de la reproduction de copies de copies et conserve cette oscillation comme élément distinct.

Cette prise de forme garde en elle-même le souvenir lointain d’une chose puisqu’elle en est une émanation qui vient de prendre forme. Elle conserve, aussi, le détachement en ce sens qu’elle exerce une tension vers la connaissance en fonction de l’oscillation perçue comme variation par rapport à une chose.

Tout cette future connaissance ne peut exister que s’il y a un sujet qui l’observe en retour. Un système peut prendre forme sans qu’il y ait nécessairement un observateur qui atteste de sa présence. En pareil cas, que devient cette tension vers la connaissance ? Rien ! Ou encore elle existe comme une probabilité impossible à prendre en compte comme… probabilité. Ainsi ce qui exerce une tension vers la connaissance contenue est l’expérience d’un détachement qui rend probable la prise de forme. Toutefois, il se peut que celle-ci ne survienne jamais ou que l’oscillation qui donne une variation par rapport à une chose ne soit pas prise en compte comme tension vers la connaissance.

Le détachement des états

Ce “détachement” est quelque chose de curieux. Il est cet état proche de la condition initiale et de son asymétrie par oscillation et forme. Cette transition entre deux états fondamentaux enclenche une nouvelle distinction : une tension vers la connaissance dont l’être qui l’observe décide qu’elle détermine quelque chose. En cela le “détachement” est comparable à l’horizon d’une chose. Il sert de substrat aux choses qui seront afin qu’elles soient ou encore qu’elles prennent forme, espace et temps. L’horizon est le reflet étrange d’une chose : il n’est ni espace, ni temps, ni forme, ni avant, ni après. Il est là comme il aurait pu être ailleurs ; il est tout autour de nous, mais nous ne pouvons pas le localiser exactement.

Les choses qui ont, désormais, forme, espace et temps perçoivent la naissance comme une chose hors de laquelle elles ne peuvent être. Ainsi configuration et détachement sont en dehors de la naissance tandis que la prise de forme doit naître selon le décret du temps. Un objet est donc le lieu de la durée dans un espace donné où il produit une copie de lui-même à chaque instant de telle sorte que ces copies se superposent les unes aux autres afin de former un tout qui s’étend dans un corps à l’intérieur d’un espace et se résorbe comme un temps à l’intérieur de la durée. Le temps, l’espace et la forme sont intimement liés pour tout objet qui s’est détaché d’une chose et trouvent dans ce détachement, cette configuration une sorte de nécessité liée à « l’existence ».

La modification survenue dans la série de copies, et conservée telle quelle, aussi paradoxal que cela puisse paraître, continue d’apporter de nouvelles modifications à l’intérieur même des copies. Sauf que ces modifications continuelles ont pour conséquence d’amener la ruine. En effet, une copie, comme mentionné ailleurs, n’est pas une chose, mais son image. Dès lors, c’est avec ce « défaut de fabrication » que ces copies ayant pris forme, espace et temps sont obligées de se reproduire, à nouveau, en conservant l’état de ces modifications sans jamais pouvoir retrouver l’état initial : celui où il n’y avait qu’une chose.

Ce serait le rêve d’une série de copies qui se reproduirait à l’infini dans une continuité sans durée. La durée n’est pas un temps au sens commun, mais bien ce qu’elle signifie : durer pendant une certaine quantité de copies de copies jusqu’à l’altération complète de cet espace quantitatif où une chose se copierait elle-même sans image d’elle-même. Ce serait une boucle infinie sans autre forme que celle-ci. La seule échappatoire face à cette continuité sans altération est de reproduire une continuité dans la durée entre les multiples générations de ces copies de copies par l’entremise d’un élément qui oscillerait reproduisant par son propre mouvement une image d’une chose.

configurations répétitives

Une série de copies est un simple système reproductif qui se reproduit à l’infini, à l’instar de cette série de traits : ——————————————–. Ces copies représentent une sorte de tout indissociable, une configuration ; l’avènement de séquences aléatoires (ou pas ; ie l’oscillation) qui modifient une séquence répétitive : —-|—-|—– permet d’insérer une prise de formes qui fragmente la série initiale pour en modifier sa condition initiale par un changement d’état : ————-|—-|————–. Dès lors, une nouvelle série est en train d’apparaître et conserve ces modifications, ces oscillations aussi longtemps qu’elles continuent de se reproduire et/ou qu’une entité biologique observe ce changement d’état et questionne, en retour, la nature de ce dernier.

Par détachement d’une chose, le temps, l’espace et la forme ont atteint une organisation telle que leur « existence » ou configuration ne pourra plus se détacher ni de l’un ni de l’autre ou en construire une nouvelle qui fabriquerait d’autres états. Elle est nécessaire pour les choses qui ne sont pas une chose. Ce qui se conserve dans cet état est une oscillation qui a modifié la fréquence des copies emportant avec elles les variations d’image copiée à image copiée. Cette oscillation met en mouvement l’ensemble des points de références les uns par rapport aux autres. Ils décrivent, alors, une ou plusieurs relation-s d’interdépendance-s.

L’oscillation, en même temps qu’elle désigne l’objet en train de prendre forme, génère une nouvelle série qui se déplace de proche en proche créant ainsi un espace ; elle indique, aussi, un état ultérieur puisqu’il y a une forme nouvelle suggérant une temporalité. Par liaisons et relations entre chacun d’eux, ces points de référence introduisent une dynamique qui se répand relativement. Le plus curieux au sujet de l”oscillation revient à entendre qu’elle atteste d’un passé en laissant transparaître un état antérieur défini ou construit différemment se déployant dans une temporalité nouvelle et future. Ce qui n’a pas de sens en soi.

Les apparences

En restant un tantinet sur cette notion, il est amusant de remarquer que pour un système aléatoire, non clos, seul le passé peut être prédit alors que pour un système de type aristotélicien et parfaitement clos, le futur peut aussi être prédit. Le futur d’un monde clos place toute la connaissance à l’intérieur des choses apparentes alors qu’en « prédisant le passé », ce sont ces mêmes apparences qui se dissolvent afin de faire apparaître ce qui est caché, non évident. Comme l’explique Giorgio Colli à propos de la sagesse Grecque, prédire le futur n’est pas juste une activité divinatoire, elle rend compte de la parole qui prend sa place dans le monde de l’apparence ; elle devient, elle-même, apparente pour se joindre au réel. C’est en ce sens qu’elle est transmission divine en rendant apparent ce que seule une divinité peut connaître qui est au-delà des apparences. Pour les Grecs, ce qui avait vraiment de l’importance était de connaître, d’étudier, de prédire le passé qui ne pouvait pas se nourrir de l’apparence puisque les choses n’apparaissent plus, mais ont paru. Dès lors l’apparence ayant disparu, étant dissoute seul peut surgir le vrai sens de ce qui va apparaître. Ce qui change radicalement la nature même de la prédiction. S’il est facile de prédire un mouvement apparent qui suit toujours la même route ; il est plus difficile de prédire ce qui n’est pas apparent dans ce même mouvement.

En voulant faire disparaître les apparences, les grecs, selon le point de vue de G. Colli, cherchaient à connaître une chose telle qu’elle est, au-delà du temps, au-delà de l’espace et de ce qui apparaît. Cette chose qui était là, image de quelque chose d’autre qui perdure dans une continuité sans durée.