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Imprégner le voile

Autre chose est une chose cachée, voilée à la compréhension, mais qui l’imprègne comme le brouillon d’une fabrication qui ne se souvient pas d’elle-même. Un peu comme un son qui serait indistinct de ses syllabes ; un mot est présent, mais il ne se distingue pas encore de sa matière sonore. Autre chose est le paraître d’une chose qui se forge une présence dans un souvenir qui arrive. Telle est l’énigme d’une chose qui crée le trouble. Le trouble est le moyen par lequel une chose règne sur la compréhension alors qu’elle est simple, limpide, claire. Par le trouble, elle envoie des signaux imperceptibles qui mènent vers le perceptible.

Elle génère un voile qui multiplie les séries qui se copient les unes les autres formant le tramage de ce voile. Dans celui-ci la compréhension est perçue comme la manifestation de quelque chose d’autre, un embryon de connaissance qui tend à projeter le motif de sa répétition comme signe futur d’un langage exerçant une tension vers la connaissance. Celle-ci exprime la limite de compréhension de l’être car ce qu’il retient d’elle est le motif du tramage apparu sur le voile ou, du moins, c’est ce qu’il a cru voir. Rien ne lui indique que ces motifs lui sont destinés. Ce qui se trame dans la constitution de ce voile est peut-être autre chose. Il peut attester de la présence d’une certaine organisation des choses tramées, mais il limite cette organisation par l’interprétation du voile dont les signaux qui en émanent semblent se structurer comme un langage. Ce qui le rend visible et tangible telle une réalité : ce qu’il voit, il le distingue.

Les motifs du voile viennent d’une chose et non d’ailleurs. La fin d’une chose est une chose, exprimée par l’être comme essence de sa connaissance. La tension vers la connaissance qui se traduit par les nombreux motifs contradictoires du tramage se dirige vers la forme. Une chose, les choses et l’accès direct au voile ou indirect par le biais d’autres choses se rencontrent comme une fin possible de l’être qui va se charger de reconnaître dans toutes ces choses différentes une chose qui fonde toutes les autres choses.

Ce qui signifie que pour pouvoir parvenir au réel d’une chose, une entité biologique ne peut se séparer du voile qu’en le transformant en réalité. Il existe un besoin réciproque, un échange continuel de propriétés équivalentes entre elles qui se conçoivent comme des entités relationnelles. Elles tendent vers une connaissance « des choses qui sont » comme d’une chose par un intermédiaire qui a pris forme au sein du tramage des multiples motifs suggérant pour l’être une langue qui lui suggère, à son tour, la réalité de tout cela.

Connaître un chose, c’est sublimer les motifs en une langue propre par laquelle s’immisça une chose en chaque entité biologique. Pour connaître une chose, il suffit d’en parler sa langue. Toute parole est l’expression d’un des signaux apparus sur le voile comme motif de son expression. Trouver la voix d’une chose pour l’écouter dans son apparence tout en révélant à l’être ce qu’il est. Tandis que la voix d’une chose voile ce qu’elle est. Enlever ce voile signifie commencer à percevoir une chose sans savoir si elle est bien une chose ou une série d’autres choses.

Une chose conduit à une meilleure compréhension des « choses qui sont ». Les autres choses conduisent à une meilleure compréhension des choses qui sont apparues au sein des motifs du tramage. Ayant le souvenir d’une chose le voile propose d’accéder à un lieu de félicité qu’il appelle par une tension fortement exercée : une langue. Celle-ci convient aussi bien au voile qu’à l’être même s’il ne se pose peut-être pas la question de la pertinence de cet aboutissement cognitif qu’est la langue. Cependant elle est l’élément de compréhension contenant l’accès à toutes ces choses, et, en cela, elle est parfaitement légitime.

Par l’esprit de la langue qui se plaît à retranscrire les innombrables motifs en quelque chose d’autre, l’être peut atteindre ce lieu de félicité qu’est la compréhension. Il est une manière détournée, pour lui, de rendre acceptable la soumission au temps, à sa ruine en s’assurant que l’action de toutes ces choses se soumettent, elles aussi, à une temporalité. Ce qui vit dans toutes ces choses est une autre chose qu’il nomme connaissance.

De ce cheminement le voile est un horizon qui reste à égale distance d’une chose et de l’être qui le perçoit. Il n’est ni une chose, ni une connaissance. Il est ce que ni l’un ni l’autre ne sont. Sans le voile, une chose comme l’être végéteraient dans l’ignorance parce qu’ils ne sauraient comment se connaître. Par le voile, l’être est l’expression d’une chose, mais sans le savoir. Pour cela il doit apprendre qu’il est, lui aussi, une chose. Mais cette chose n’est pas exactement une chose. Elle ne peut être que le reflet d’une chose qui se perçoit à travers un voile. L’être est une chose qui s’approche du voile sans jamais pouvoir l’atteindre. Il ne peut qu’apprendre pour percevoir ce qu’il n’est pas.

Cette égale distance imprègne chaque embryon de connaissance. Elle est la marque de fabrique d’une chose. Elle ombre la connaissance de sa présence, et, pourtant, s’estompe à chaque fois qu’elle s’avance dans le monde de la langue. Elle se confond alors avec l’horizon et l’élément de compréhension que nous tirons, composante intrinsèque de l’horizon, entremêlé d’une chose et de son voile, s’apparente à une surface, un reflet lointain de quelque chose d’autre.