Hors de mon cœur, la réalité

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Hors de mon cœur, la réalité

La réalité est l’image d’une certaine vérité approuvée ou désapprouvée. Lorsque la vérité atteint la véracité de l’en dehors-dedans1, elle organise les objets de sa boîte à outils comme une culture à développer. Elle est le centre de toutes les vérifications acquises, mesurées, conceptualisées, idéalisées. Par ces objets projetés, elle commence à vivre : naissance symbolique faisant fuir tout contact direct et charnel avec elle. Ce don de la naissance vit par la grâce des autres, les observateurs. Par l’alphabet et la mesure, ils et elles observent la satisfaction vérifiée de leur monde. Mais ces choses synthétisées sur le réel ont la prétention de soumettre l’appareil intellectuel à leurs propres expressions et relations dont le corps serait le grand abandonné, la fameuse séparation de la matière et de l’esprit : combat entre le fini et l’infini servant de socle prédestiné à la formation des analogies mentales.

Ce combat de l’immanent et du transcendant, soit la véracité reste dans les choses, soit elle descend vers les choses, peut nommer vérité par son nom même comme seule et unique victoire. Pour l’une comme pour l’autre il a fallu, il faut, il faudra des définitions, des limitations qui entourent, englobent chaque chose afin de finir ce qui ne l’est pas. En finissant ainsi, ce qui n’a ni début ni fin, le chant des causes et des effets prend son envol : le but apparaît tel une clarté limpide. Et c’est cette quête du but, du début et de la fin qui rendit la vérité si compliquée à définir. Il fallut pas moins de quelques millénaires pour que tout le monde en perde sa saveur et sa jeunesse ; sève dont plus personne n’était capable d’en goûter toute l’originalité. Cette complexité est passée par le chemin de la fixité des but, début et fin. Chacun, chacune ayant cru voir dans cette fixation le chemin ultime de la vérité qui se transformait en nécessité. Dès lors, se munir de multiples outils afin de dissoudre cette fixation, de la dé-faire pour la rendre à sa simplicité même sans vérité ni véracité s’apparente au chemin de tous les risques possibles.

Par les relations et les expressions qui enjolivent cette image du réel vérifié par la véracité de ce qu’il entoure, il faut montrer qu’il y a quelque chose d’autre au-delà des objets, une réalité autre par le jeu des analogies : un sens caché, plus secret, véritable merveille à découvrir. Sens codés pour savants à la recherche de palimpsestes révélations : là, dans le symbole se cache le silène d’Alcibiade2, un peu à la manière d’emboîtements logiques dont l’aspect extérieur rude et difficile cacherait, au bout d’un certain nombre de ces enchaînements logiques la véritable nature de ce qui est. Et, bien entendu, selon le savoir d’aujourd’hui, il faut un guide qui vous mène vers ce chemin. Le guide étant l’autre partie du sumbolon grec. En conséquence, il existe d’autres «mots» dont l’essence des sens n’est que l’incidence de coïncidences déguisées en fatrasies3. Ce que nous entendons dans la description du décryptage vit pour satisfaire notre esprit en mal de phantasmes indicibles et inassouvis à la recherche de la magie, cette étrange manière de rendre intentionnelle une coïncidence. Écrire ce qui ne peut se dire afin de décrire cette dépendance si joyeuse qu’est le trésor, la manne, le gouffre de «l’originel», caché, là, entre deux interstices de syllabes aux allures de dessins qui auraient perdus leurs prononciations alphabétiques.

En mon cœur, le réel

Retrouver ce mythe légendaire d’un langage commun à chaque humain : idéalement, cet infini incommensurable universel d’allitérations et/ou d’assonances exprimerait par delà le sens des mots une double fonction : consciente et inconsciente, directe et indirecte, dedans et dehors. Un genre de poésie, affirmant une chose, qui résulterait d’un langage où ni la pensée, l’intellect, ni le corps, le sensoriel, ne se détacheraient, mais attesteraient d’une même chose vérifiée : un encombrement élaboré dans la patience éclaircie des symboles, des allégories, des métaphores de la vie entrelacée de l’humain par le biais d’une verbalisation riche de sens, de contresens et de non-sens comme autant de directions à prendre que de chemins à perdre.

Ces directions transfèrent quelque chose d’autre afin de rétracter le flou du langage à sa figure primitive où «l’alphabet» n’est plus le mot, le corps, l’habit du sens, mais autant d’indications qui se démultiplient en signes lesquels transfigurent le discours où le «lu» n’est plus tout à fait le «dit» ni «l’écrit». Les mots ne peuvent s’empêcher de passer du concret à l’abstrait et réciproquement. Telle est leur nature : la matérialité pratique des mots est de s’échapper de là où ils sont pour aller ailleurs, toujours plus loin, là-bas. Le résultat de ces abstractions de vérité par la collusion de ce qui est là et de ce qui n’y est pas sépare la faculté humaine de ses sens organiques lesquels se soustraient à leurs origines animales. Le corps n’est plus que le réceptacle de quelque chose d’autre. Il est le fondement singulier d’une organisation éthique et supérieure ou une forme assemblée d’agrégats mélangés dont l’unicité se compare à l’enchevêtrement de vieilles voitures dans une casse. L’exposition abstraite de ces figures de la véracité, géométriquement parfaites, déculpabilise l’humain de ses propres apparitions cognitives.

Pour apprendre la musique, le plus souvent on apprend son langage puis comment le jouer à l’aide d’un instrument, mais, plus rarement, on apprend à démonter, à décomposer l’instrument pour savoir comment le son, les notes s’organisent, se propagent en fonction de la forme de cet instrument.


  1. Voir le texte : Fantasme Onirique de l’Information↩︎

  2. Symbole, le sumbolon grec était un tesson de terre cuite partagé en deux morceaux distincts et pouvait prendre valeur de contrat. Le silène d’Alcibiade explique qu’une chose laide à l’extérieur peut cacher un trésor en son intérieur.↩︎

  3. Une fatrasie est un poème médiéval dont l’assemblage des mots ne veut rien dire, uniquement est conservée la beauté de l’agencement des sons, des rimes.↩︎