Nam Shub, recettes

image d'illustration

Images, métaphores des recettes

Présentation

Promenade dans un espace public où l’on jardine beaucoup de recettes afin d’obtenir de belles images de paroles transformées en explications de quelque chose qui se mélange à autre chose par une journée de printemps. Ou comment faire abstraction des échanges entre personnes pour n’entendre plus qu’un brouhaha et découvrir autre chose, au-delà de ces mêmes échanges : une métaphysique du proche, des discours proches où l’on mange, se promène, joue, parle, discute, traverse, s’arrête, lit, etc.

Un lieu

Dans un jardin, deux bouches conversent. L’œil souligne les expressions. L’arbre accompagne le branchage des corps. Début : bribes de mots et textes balbutiés s’entendent, soutenus par la mélodie du sens caché, enfouie proche d’une allée, celle du miroir. Accoudés sur le siège de la perplexe habitude, les dires transportent des lignes, fines draperies non encore voilées où s’étendent des lettres sonores encore vierges de leurs bruits de savoirs ; elles emplissent le monde tels des acouphènes divulgués. Ils offrent la première libération des lèvres remuées par la teinte de magnifiques courbures incarnées à la volupté des expressions acoquinées au paysage.

Les vocalisations continuent sans heurts. Elles s’entremêlent, s’entrechoquent pour ne pas retentir telle la vibration d’une cloche. Le maillage des sens est toujours-là, déjà, presque un sentier battu, presque une certitude ! Il surplombe le territoire de la pensée, recouvrant de chemins les corps entrelacés des lignes non employées ni déployées en alphabets : flux et reflux de morceaux de langages pénétrant l’intérieur des impressions en objets extériorisés qui, désormais, se perlent comme une ombre, se gesticulent sur le linge linguistique rattachés au même tel l’écho qui scrute sa présence dans le paysage. Mais ces morceaux de savoirs, à l’instar du rayon de soleil, tracent un passage : rien d’autre !

Cette lumière qui donne direction caresse quelques uns de ses rayons épars, striés par les vocalisations inscrites, initiée par la geste des feuilles soufflées en quelques branches présentes. Elles échafaudent un état d’esprit à l’image du similaire, un «allégorêve», une allégorie qui prend la forme d’un rêve éveillé. Elles se regardent dans le chuchotement à l’instar d’une parole prononcée, balbutiant des rêves de mots perçus en leurs plaisirs évocateurs. Elles frémissent comme la plus frêle des brindilles, comme la plus douce des paroles qui se mêle à une langue. C’est à ce moment que les corps des lettres et la vertueuse parole acheminent une chose inattendue, parfois idéale, quelquefois idéelle. Les plumes de cette imagination sensuelle, où les lettres pas encore mots ni langages s’agrippent aux corpuscules qui les expriment, libèrent de nouvelles phases dont il manque un air, une respiration aérée, pour devenir de nouvelles phrases. De ces rencontres entre le souffle, les phrases, le branchage, les bouches, l’air et bien d’autres choses une mélodie brosse son portrait physique comme spirituel, attentive à la sensualité de ce qu’elle est train de délivrer en prenant acte de sa présence, désormais entendue dans le jardin. Elle inspire une réception.

Mais, à l’ombre des corps non écrits en histoires, cette recension des langues ne possède que le miroir comme réflexion : l’image colorée des phantasmes les plus secrets. Ô énoncés adorés, cryptes d’essences aux inespérés mirages de l’écoute. Oui ! Le besoin d’une recette se fait sentir à nouveau : comme à la phase qui n’est pas une phrase, une image qui n’a pas d’air ne peut se mirer dans les ondulations de ses reflets lesquelles modifient et déplacent lentement chacune de ses lettres pour transformer ce terme en mirage.

Plumes visuelles, elles perforent les esprits et voyagent dans cet intérieur où l’inconscient ne connaît aucune recette et se demande bien ce que cela veut dire. Il forge des tracés qui se modélisent, des images qui en découlent, des mirages qui en troublent le sens. Il ne voit plus ce que les recettes perçoivent, elles ont trempé une chose dans le multiple où se dégagent les opacités futures d’une connaissance inachevée. Des formes, elles vénèrent les entrebâillements qui s’entrouvrent pour y jeter des certitudes graphiques. Elles oublient la signification de leurs essences où rien ne se dégage ni ne se concentre : tout s’évapore sur les atours de leurs signes et les détours de leurs présences non signifiées quand bien même les sécrétions de leurs écritures transparaissent plus dénudées que l’oubli, plus parentes que l’union. Et du “i” de l’image flouée, un autre air s’est ajouté, mais qui ne peut se dire, seulement se percevoir, tel un masque qui enserre le fantasme d’un monde uniquement pourvu de réalités aussi solides qu’un pierre en un monde pourvu de choses floues à la fois réelles et irréelles.

A la venue de ces corps fantomatiques, le monde des signes, qui forme et déforme les lettres, continue benoîtement le rêve qui se grave en eux. Objets de cultes, odeurs liquéfiées aux parfums des flammes et des mains tremblantes, ils dressent des visions sur quelques parois et mystifient les dessins en lettres suggérées. Où le poème s’érige en hymne : la fleur qui s’évanouit à côté des corps se transforme en chants d’un désir de la voir revivre.

De ces lumières assombries, pleurant sous le désarroi de leurs expressions, leurs images, telle la fleur, dépérissent aussi. Pliant sous la haine, leurs réactions sont aveuglées par cette lumière qui tournoie autour d’eux : un écran s’incruste. Cette lucarne dessert le sentiment de la plénitude : il n’y a pas que le paysage, l’espace du jardin, mais sa lumière ! Or cette luminosité ne sursoit en rien la vérité. Oui, il ne fallait pas croire en cet éclair défenestré qui se conjugue en ami du savoir qui se sait. Ce qui s’illumine n’est pas complètement extérieur au spectacle.

Les sculptures avancent sournoisement sous les soleils des preneurs de sens, et, l’humain du monde éclairé, parfois orienté, acclame des forces qu’il ne peut contrôler en faisant appel au langage. La parole lui a été déliré sous forme de mots pour favoriser les connexions réelles et irréelles quand bien même il ne sait ni écouter, ni entendre. Le langage ordonné aux mots taillés dans les graphismes de leurs signes ne sont qu’une source conditionnée par la forme d’une langue en début, d’un son en suite, d’un fleuve d’images et d’un océan de mirages aux certitudes bien présentes en continuités. Toutes ces constructions allouent une perception autre du monde tout en construisant sa propre ignorance. Les connexions entre les différentes langues ne se suffisent plus, d’autres doivent être sciemment établies afin de ranger les mots au rang de ce qu’ils sont : une infime partie de la perception globale, un simulacre de signes prêtés à l’humain. Qu’est-ce qu’un mot sans un son ? Qu’est-ce qu’un son s’il n’est ni air, ni chant, ni parole ? Tout au plus une vague stridulation inaudible qui ne peut s’entendre que couchée en courbes graphiques projetées. Au final, tout cela n’est qu’une image qui se reflète un peu partout telle une condition enivrante qui se manifeste par d’immenses bibliothèques sonores et muettes, villes aux sonorités perpétuelles et environnantes.

Les langues utilisées par les mots se précipitent vers l’éclosion du souffle. Tout se coordonne depuis le début comme une vie continue, elle préfigure son chemin, tel un dialogue entrecoupé par la poésie de l’image, du mirage et du miroir qui capturent l’air, chacun à leur manière, tantôt lettre, tantôt terme, tantôt mélange, tantôt jeu de mots. Elles s’engouffrent vers le lent et long discours d’une pluie et vocale et spirale aux explications transformantes et aux gravures rotondes. Elles s’allongent comme un infini qui ne connaît pas sa fin. Mais la valeur séchée de l’infini au fini, par une lumière éclipsée par sa quantité, provoque le changement du continu en corps séparés, ils capturent de la vérité au fur et à mesure qu’ils s’inscrivent dans le réel. ils se figent dans le marécage des recettes parsemées de quelques éclats lumineux, rayonnants uniquement pour et par eux-mêmes : gemmes de mosaïques sonores dont l’expression est inaudible dans notre monde, alors elles se couchent comme une écriture, modifiées par la recette en instruments mesurés du vocabulaire des allusions.

Les langues vivent par l’allégorie du mot. Elles prennent formes dans l’image de ses significations par le biais de cette enveloppe qu’elles élaborent : perceptions d’un monde qui se distille en allégories textuelles. Elles retrouvent la première forme, cette fameuse essence, comme l’emballement de celle-ci, exprimant une sensation de liberté qui se libère de son intériorité livrant, par là-même, une couleur alternée et si charmante à n’importe quelle utopie où elle n’a pas encore dénichée son expérience. Par cette recette, toute langue s’endort dans la séduction des esprits qui croient penser, s’agenouille dans un long discours où le silence s’agrémente de quelques couches prononcées superfétatoires afin de croire à la beauté du rêve non pas de l’expérience. Le mot est parcouru par le poncif de la recette, un succédané stéréotypé où il n’exprime plus rien si ce n’est sa déchéance, et à nouveau par manque d’inspiration, par manque d’air, le mot s’échoue sur les rivages de la mort. Langages de substitutions où le sens utilisé est une substitution de ce qu’il est ou représente, englobé dans un rapport aux sens, il est une faculté qui ne se perçoit plus comme quelque chose, mais uniquement comme un discours sans fin de quelque chose qui ne sait plus, mais qu’il faut bien échanger. Adouci par ses propres atours théoriques, il s’enferme, se cloisonne en des directions, des idées d’identités et d’illusions. Il est ce contrat tacite avec lui-même incluant dans la clause “vérité” sa propre recherche implicite, et, lorsque l’illusion est soulevée par l’allusion, aucune vérité ne se distingue ni pour lui ni pour ce qu’il exprime. Il se donne le sentiment, l’impression le poids d’une vérité aboutie alors qu’elle est falsifiée par sa propre déconstruction qui ne peut plus contenir ni ce qui est vrai ni ce qui est réel ni ce qui est faux. Il se réifie en choses imprononçables et indicibles par des expressions où la logique se perd en cheminements et partages de sens n’existant que pour eux-mêmes non plus comme langage. Il puise dans son discours l’obtention d’une connaissance où il n’y a plus que des illusions et des mensonges communs, sa seule et unique allusion au réel. Objet unifié d’une vérité désincarnée en véracité, en semblable ensemble, en tangible du vrai et/ou du faux, peut-être, à la fois ici et là. C’est à peu près tout ce qu’il dit.

Ce qui est-là, dans le jardin, et ce dès le début, n’est pas ce qui est.