Fantasme Onirique de l’Information

image d'illustration

Tentations primaires de syllabes

Des textes écrits avant toute signification, représentation, symbolisation. Une syllabe sombre, recouverte d’obscurité à laquelle de petites couleurs de sens se propagent telle une forme organique laquelle chasse habilement toute impression venue de l’extérieur ou de l’intérieur. Elles n’amènent ni n’accompagnent vers. Elles fuient le temps et les grelots ossuaires des secondes. Elles ne regardent même pas la venue des nombres. Elles dénigrent toute appréciation d’une sensation. Les mots sont encore des poudres non formées. Signification, représentation, symbolisation ne sont pas encore des pulpes de phrases. Impossible de préparer de délicieux électuaires aux vocabulaires expressifs. Elles ne voient, ni n’entendent et ne peuvent se lire. Seule plane la douce impression d’un assemblage de lettres illettrées.

Là, au milieu, entre deux accords atonaux, elles saisissent la matière irrévocable d’une trajectoire graphique où elles prennent plaisir à offrir leurs communes géographies à la lumière de ce qui s’entend. De ce nouvel attachement au socle de la signification, représentation, symbolisation, elles décomposent, une à une, leurs formes dessinées et charmées : lettres éparpillées d’un alphabet inexistant. Ce qui se perçoit n’est pas un appel à la pensée. Cet amas informe construit le doux acrostiche d’une mémoire qui se substitue au mot. Il attire inlassablement le texte sans parvenir à l’enchâsser dans une forme spirituelle. Le temps-lignes ne peut le parcourir. Il est plongé dans une quête de l’“omni-partout” à la recherche de l’information contenue dans ce qui se présentera comme écrit, comme connaissance. Il cherche l’encodage qui exprimera une chose. Une concrétion se réalisera où “l’omni” signification, représentation, symbolisation deviendra l’unique mot dont l’information est incrustée en lui tel un codage spécifique.

Ce codage indique un repère. Le texte est un ensemble de repérages graphiques. Ils agissent comme des bornes autonomes capables de situer un ordre dans l’espace abstrait des lettres et des syllabes. Le mot, la phrase, en dehors de ce qu’ils affirment par le biais du classique sens, dessinent l’expression singulière d’un maillage de codes, libre de toute conformité qui le lierait à quelque chose de précis, de signifiant à la limite des ondes et des informations. Les codes ne se divulguent plus au travers de ce maillage. Vide de l’omni-partout, il ressent son propre espace : celui où le sens est vidé de toute sa substance. Ici plus rien ne voyage : ni les sons, ni les images, ni les lumières, ni les «signification, représentation, symbolisation». Aucun de ces classiques n’est présent. Cet endroit est perçu comme la trame d’un vide absous de son espace, de sa quantité, de sa temporalité. Il ne possède plus les linéaments modulables de l’infini, mais il possède les bornes modulables du maillage fini.

Ce maillage se localise dans cet espace fini où les mots deviennent temps tandis que la parole se localise dans l’omni-partout temporel afin de faire apparaître l’espace du maillage comme miroir. De cette scission entre ces deux dimensions, la connaissance a pu surgir comme une tentative unique d’exprimer un même rapport à l’omni-partout par le tissage de l’espace-temps.

Même éteinte, la lumière est encore plus brillante

Il suffit d’un seule paradoxe pour que les voleurs de mots voient une chose qui était-là, qui est là sans qu’ils ou elles puissent la percevoir. Le seul remède est d’éteindre la lumière, la faire disparaître pour que sa présence soit encore plus présente, plus significative et aveuglante.

Dans cette scène du maillage et du miroir où des noms surgissent tel une connaissance, un peu comme un dieu donnerait la permission de nommer ce qui ne peut avoir de nom, l’humain découvre, par une mythologie réelle, cette propriété fascinante où il peut affirmer qu’il «sait» quelque chose à l’intérieur d’un monde circonscrit par ce qu’il nomme. Grâce à cette convention de nommage, le savoir peut se savoir : ce qui ne peut se dire s’exprime d’une autre manière. Circonscrit à l’intérieur d’un jardin, l’humain trouve une boîte à outils qui ne lui appartient pas, mais avec les noms qu’il tire de ces outils pas encore cognitifs il peut se donner du temps, de l’espace pour développer sa propre culture.

L’infini ne peut se connaître que lorsqu’il est circonscrit par un ensemble de limites, de «noms», qui se différencient de lui-même. L’infini est le produit de propriétés qui le rendent différent, mais elles lui sont équivalentes en ce que ces dernières l’enveloppent dans un maillage borné de noms, d’équations, de lois qui ne peuvent être qu’une chose fugace pour l’infini. Des milliards d’années écoulées pour l’infini ne sont que le souffle d’un instant à peine perceptible. Des milliards de kilomètres ne suffisent pas à remplir l’infini. Le problème de la perception de l’infini ne vient pas par ce qu’il «englobe» quelque chose, mais de ce qu’il est une propriété incohérente et intrinsèque des objets qui le constituent, le fabriquent. Chacun devient l’adresse de l’autre sans jamais trouver le chemin qui mène de l’un à l’autre. Face à la hauteur incommensurable de cet échec, l’humain ne pouvait qu’imaginer la pire des propriétés liantes entre ce maillage de mots et le miroir de l’infini : la vérité. Elle luit comme une veilleuse perdue dans l’infini, elle a besoin de ce point d’ancrage pour y voir justement quelque chose.

L’humble vérité des flammes voyelles

Depuis cet instant de faiblesse, l’humain recherche toujours l’expression définie de la vérité : ce moment-instantané infini où l’ensemble des propriétés, des attributs d’une chose se figent, se bornent, se distinguent et lui appartiennent en propre pour se transformer en quelque chose d’universel, d’intemporel. La vérité d’une définition ne peut exister que comme pure contradiction d’elle-même d’où l’usage immodéré des mathématiques qui supportent beaucoup mieux ces contradictions que ne le peut la langue littéraire. Elle veut être cette chose décodée qui se perçoit clairement dans le maillage de l’infini. La vérité qu’elle dissipe en terme de connaissances est le codage défini de l’indéfini décodage de l’omni-partout. Elle est la lumière de ce qui se sait le mieux. Il est impossible à l’humain, et même à la vérité, de connaître, dans son ensemble, les points d’ancrage qui constituent le maillage désordonné de l’omni-partout, car il ne lui est pas possible de connaître en temps et en espace mêmes toutes les caractéristiques des propriétés différentes de l’infini. Mais il a appris que l’infini, l’impensable, l’incommensurable se cachent, tel des fantômes joyeux et moqueurs, dans les propriétés contradictoires des définitions qu’il affirme être sa vérité. Il sait ce qu’il possède, il ne sait pas ce qu’il tente de définir.

Les contractions multiples de la vérité ainsi que ses déplacements, ses changements conduisent l’être humain vers des chemins de séparation : tout est construit depuis mon esprit, tout est là sans mon esprit. D’un côté les «constructivistes», il n’existe pas de vérité objective. La réalité est construite par nos perceptions intellectuelles et sensorielles. La vérité est le synonyme du point de vue. De l’autre, «le monde objectif de la science», il existe une vérité objective en-dehors de nos perceptions intellectuelles et sensorielles comme les lois de la physique. Je pourrai m’attendre à trouver une vérité qui soit contre elle-même, ses propres évidences : elle se proposerait d’être quelque chose d’autre contre les réalités objectives et ses vérités perceptives qui en découlent. Elle ne serait plus l’endroit de la réflexion, mais son envers, ce qui ne se reflète pas, ne se réfléchit pas. Une vérité qui n’appartiendrait à personne, à aucun groupe, à aucune réflexion ni référence. Elle serait l’abandon du commencement du vrai, elle effleurerait ce qui ne se reflète pas et qui ne va pas de soi, elle se poserait comme entité contre l’être humain et sa niche spatio-temporelle à la recherche de l’omni-partout : grandeur, beauté, candeur de quelque chose d’autre qui se situerait dans un ailleurs indéfini et infini, hors de tout maillage, de toute borne. Une vérité qui ne serait ni humaine ni spatio-temporelle. Mais…

La vérité est localisée et pensée dans l’espace-temps, pour atteindre une valeur universelle elle doit déformer cette localisation et s’en séparer : enlever la caractère saptio-temporel qui lui est propre. Sa présence doit se répéter continûment en chaque écoulement de l’espace-temps quel que soit le lieu ou l’époque. Elle est une forme, sans jamais devenir une loi, qui se surajoute au spatio-temporel. Si elle en était une, elle changerait la nature et de l’espace et du temps. Elle ne peut que les accompagner sans se transformer en eux. Autrement dit, la vérité ne peut pas être délocalisée et du temps et de l’espace : elle se déplace dans un environnement qui se situe hors des lois physiques. Pour effectuer ce déplacement de «l’en dehors», l’humain imagine ce que serait une forme vraie dont la présence ne dépendrait ni de lui ni l’espace-temps. Tout un ensemble de procédés ont été mis en place, découverts et offerts à l’humanité, parfois par elle-même, d’autres fois par intuition, pour l’aider à effectuer ce bond conceptuel de «l’en dehors». L’infini incommensurable universel de la vérité doit développer un infini incommensurable universel vivant à la fois dans un environnement non spatio-temporel et être un élément vivant dans le présent, une sorte d’en dehors-dedans. Ce passage continuel entre ces deux mondes lui garantit l’exactitude de sa propre véracité. Elle est l’objet d’un vérité impossible pour une loi physique, elle ne peut donc être qu’un objectif qui vise quelque chose d’autre. Tel est l’objectivité de la vérité : un objet qui se surajoute au monde réel comme une entité subtilement dissociée de son impossibilité physique, mais contenant le monde dans ses essences et temporelles et spatiales afin d’y déceler la nature physique de leurs organisations, de leurs arrangements. En conséquence la vérité peut s’identifier à ce qu’elle sait et affirmer qu’elle connaît deux mondes opposés en même temps et espace comme si le dedans et le dehors, le possible et l’impossible formaient une même nature.