Bonheur domestique

Si le pauvre enlevait ton bonheur domestique,
Que ferais-tu ?
Que dirais-tu ?
Que deviendrais-tu ?

Si le pauvre t'enlève
La cigarette,
L'alcool,
La poudre blanche,
Les cachets pour dormir,
D'autres pour te donner de la force,
D'autres pour ne pas être sous pression,
Le con qui te harcèle ou que tu harcèles,
La télévision,
Les guerres,
Le terrorisme,
La violence,
Le sexe,
L'argent.

Si le pauvre disparaît avec ces autres besoins ?
Que deviens-tu ?
Un prisonnier.
Qui ne se sait pas.
Un prisonnier au bonheur domestique.

Mais je vais être généreux avec toi.
Je te laisserai, en échange,
Payer la redevance télévision
Car il faut bien que tu sois ce que tu regardes :
Un héros,
Un policier,
Un homme politique,
Un voyou,
Un gentil,
Un criminel,
Un savant,
Un public,
Un chanteur,
Un journaliste,
Un alternatif,
Un extrémiste,
Un clown,
Une marionnette,
Un animateur,
Un joueur,
Un interviewé,
Un prisonnier,
Une victime,
Un super héros,
Un artiste,
Un patron,
Un syndicaliste,
Une pute,
Un homo,
Un hétéro,
Un facho,
Un macho,
Un pacifiste,
Un croyant,
Un intégriste,
Un terroriste,
Un agent,
Un interprète,
Un cuisinier,
Un exploitant,
Un écolo,
Un philosophe,
Un fou,
Un séducteur,
Un historien,
Un dieu,
Un militaire.

Tu n'es que le gardien
Qui paye le dû
À sa propre prison.
Et, en tant que gardien :

Tu es un prisonnier qui rêve d'être libre.
Un menteur qui veut la vérité.
Un ignorant qui fabrique la connaissance.
Un tricheur qui veut faire la loi.
un juge qui modifie la juste mesure.
Un refuge qui masque la réalité.
Un idéaliste sans idées.
Un rêveur qui ne veut plus dormir.
Un chemin qui ne connaît plus sa direction.
Une expérience qui se contemple d'elle-même.
Une suffisance si épaisse que la culpabilité ne
peut exister que dans l'autre.
Un individu qui a perdu le multiple.
Un être qui croit en son unique pensée.
Un aveugle qui prétend voir.
Un persuadé hypnotisé par ses conclusions.
Un crieur qui éructe des paroles muettes.
Un cri sans joie.
Une raison qui veut toujours voir sa raison dans l'autre.
Une raison qui renie toute raison dans l'autre.
Une raison qui, pourtant, ne peut exister sans l'autre.
Une parole qui ne s'incarne pas dans la bouche.
Une pensée qui ne s'incarne pas dans la passion.
Un dire qui refuse l'articulation.
Une bouche qui ferme la parole.
Un bruit qui ne touche plus.
Un mot qui ne se souffle pas.
Un verbe coupé dans son élan.
Un souffle qui ne veut plus rien dire.
Un vent qui se prend pour du feu.
Un feu qui voudrait faire un arc en ciel avec du vent.
Une respiration qui ne veut plus de l'air son parfum.
Un sentir sans force.
Un corps oublié dans la parole muette de sa
pensée.
Une chair aspirée par l'accumulation de la pesante pensée.
Un corps qui ne se voit plus que dans le reflet.
Un miroir qui trahit la vue.
Une vue éloignée de la réalité ou
télé-réalité.

Mais gardien, tu n'entends pas cela,
N'est-ce pas ?
Et tu portes sur le pauvre
Jugements et trahisons en
Lui confiant dans le creux
de l'oreille et des lois :

Tu te salis,
Tu te juges,
TU te condamnes,
Tu te trahis,
Tu te conspues,
Tu te traques,
Tu te souilles,
Tu te critiques,
Tu t'analyses,
Tu t'accuses,
Tu t'occultes,
TU te légifères.


Tu voudrais enfermer le pauvre,
Un oiseau dans une cage,
Tout comme tu t'es enfermé
Dans un bonheur domestique
Comme ça, le pauvre ne pourrait pas
Aller plus loin que le doux royaume
Des quatre murs.

Pour l'obtenir tu lui fais payer
Loyer,
Eau,
Électricité,
Ordures ménagères,
Mise à nu devant les instances sociales de la
misère
Et les assistantes sociales.
Lesquelles regardent comment
Le pauvre doit dépenser son argent
Ce qu'il fait de son insertion,
Ce qu'il pense de son insertion,
De ces échecs et de ses problèmes.

Tu Lui donnes une misère pour
Payer,
Manger,
S'habiller.
Histoire qu'il n'aille
Pas plus loin.

Mais voici, voici ce que le pauvre
Te réponds et qui te fais si peur,
Que tu crois entendre les trompettes de l'apocalypse :

« Ceci est ma personne administrative.
Ce n'est pas moi ni ce que je suis
Et c'est cela qui t'emmerde le plus !
Jamais tu ne me vois tel que je suis.
Je possède autant de noms
Que les jugements que tu portes sur moi.
Autant de voies que celles de tes
Administrations, de tes assistantes.
Je suis celui que tu payes pour qu'il
soit ton bonheur domestique. Je suis
Celui qui te donne l'autorisation
D'avoir jugement sur moi et sur le
Monde extérieur afin de subvenir à
Ton besoin de suffisance.
Je suis ton besoin.
Je suis ta suffisance.
Et tu n'es pas libre !
Ce n'est pas grand chose demandé
Contre tout ce que tu voudrais me mettre
sur le dos et que tu résumes avec ces
TROIS LETTRES :
RMI.»

Je bois à la source le nectar,
Et te dis : «Tchin Tchin».

2006-2008