Fatrasies

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De l’immonde

«(…)C’est ce qui arrive à un être humain, ce qui lui est arrivé pour que, totalement décadré, ex-centré, surmaginalisé, sans fonds, il puisse se confondre avec un « déchet humain » qui, comme tel, ne peut susciter qu’horreur et dégoût. (…) Il ne s’agit pas de dire : c’est comme une guerre. Mais c’est une guerre. Une autre guerre. Celle du beau, du bel objet contre ce qui lui fait échec, contre ce qui lui fait peur : l’autre, le sale, le dégoûtant, le hideux, celui qui pue.» [In Pierre Babin, SDF, l’obscénité du malheur.]

Voici, le monde a lancé une guerre contre ce qui le gêne le plus, guerre relayée par l’état, le commerce et les personnes qui s’y rattachent. Ils se sont jetés dessus comme une bête féroce étant le serviteur de cette fallacieuse beauté et acclamés, soutenus par les inter-médias.

Voici, la guerre sociale nucléaire qui n’utilise pas la fission de l’atome mais la fission atomisée du corps social. Violence utilisée et utile qui sert à masquer l’échec d’un monde, d’un état, d’une société qui produit… de la pauvreté, de l’exclusion, de la marginalisation.

Voici, un monde qui promeut le beau mais, en fait, fabrique une beauté fallacieuse à grande échelle dans le but de tromper volontairement sur la nature de la beauté. 

Voici, toutes ces machinations ne sont pas encore parvenues à faire oublier la vraie nature de la beauté. Elle est encore en chaque être humain, cachée et attend son heure.

Voici, un monde de produits déjà morts qui prend le masque de la beauté pour cacher sa vraie laideur. Un monde devenue ombre de lui-même. 

Ombre noircie d’ombres.

La mort sociale rode autour des corps déchiquetés, oubliés par la beauté. La fêlure des liaisons sociales est parsemée par des chairs meurtries jalonnant le sol de pourritures acéphales, épluchées par la fumée de voitures consumées. Méandres dépecées d’un corps sans valeur. Tableau composé à la flétrissure de nos peurs ancestrales qui nous brûlent sur la surface incandescente de la peau éloignée de la réalité. Les doigts s’écorchent eux-mêmes sur les discours politiques qui attisent les peurs, activent les haines et préparent le bûcher.

La terre désarticulée plonge vers la douceur d’un volatile acide qui, goutte à goutte, perfore, silencieusement, les corps miraculés. Doucement, silencieusement, il découpe la vie comme un rouage d’engrenage où des réalités pétrifiées se déversent dans la chute chaotique d’une avalanche rocailleuse au bout de la langue. Tel est le charme de la vie barbelée. Tandis que les rires assoiffés de cris se perdent en un lent et long silence étouffé par d’autres cris oubliés. Ils se ravivent à la moindre correspondance.

nouvelles bibles, nouvelles billevesées

Ils crachent sur l’écriture comme ils crachent sur la vie. Bouillon infâme de stupides croyances à la découverte d’une nouvelle bible : le beau, le riche, l’intelligent au corps design et à l’esthétique chirurgie. Le corps voudrait être cet arbre qui, planté près du cours d’eau, donne son fruit en son temps et dont le feuillage ne se flétrit pas. Rêve d’une poésie défigurée. Rafistolé de l’extérieur, démoli de l’intérieur. Transpercés par le programme social de l’industrie les corps n’ont plus de formes. Mollusques à modeler selon le bon vouloir de l’industrie qui sculpte le corps comme elle occulte la pensée, le transforme en une denrée sociale pour l’appétissante suffisance de l’auto-consommé. La peau, à la surface, ne sait plus sur quoi s’accrocher.

De l’autel du visage au corps banni sont inscrits et comptés, sur ce long parchemin ramolli, les tabous transgressés par les automates martyrs, ridés de leurs sourires esclaves. Ils voudraient reboucher les trous ouverts d’une peau qui glisse sur un corps qui n’a plus de sens : cahoteux souvenirs d’un temps où la peau et le corps étaient unis. Le flottement et de l’un et de l’autre, pénétration dans l’espace du déplaisir pétrifié aux mille couleurs du rayon plastifié, s’apparente aux débuts et aux fins dont la pusillanime construction fuit le temps : «J’ai acheté des produits de beauté dans le temple intemporel du commerce afin de ralentir mon vieillissement, de mieux me connaître et de vivre un instant l’éternité». Chimères au départ, bouches répétitives à l’arrivée, plaisir incertain de l’information qui génère les pensées de l’autre comme une intrusion dans le plus intime afin de défaire toute substance possible au corps, à la peau, à l’âme.

De ces rivières diaphanes où la liquéfaction se mêle aux douces formes, les corps limpides qui ne possèdent plus de contours hormis ceux où l’industrie leur dit de s’incruster lèguent des paroles flasques, sans humeurs, privées de toute intention. Œuvres itinérantes, pré-écrites pour le maintenant, elles propagent une atmosphère doucereuse louant à la population des plaisirs compris dans le prix, incrustés de tabous à transgresser comme autant de petites lois de l’intime qui n’existent que pour des corps ayant perdus toute idée de leur propre identité :

Voici, le brevet industriel qui se charge de priver le vivant de son essence. Peu importe. Mon corps n’est plus ma propriété. 

citoyen type

Perdurer dans le perdu volontaire

  1. L’âme se dévore dans un corps frelaté par une nourriture dénuée de toute saveur. Jamais les mots ne seront assez puissants pour profaner les couches de l’esprit enseveli dans la nonchalante crasse du cervical à la mode du disponible. Pauvre sésame qui gémit tel le cri de la bête chassée et tuée ! Même l’endoctrinement se targue d’un symptôme similaire : essoufflé, fracturé en ossatures indécises des histoires.
  2. Où la réalité se cache-t-elle ? Ne pas voir ! Ne pas entendre ! Désirer l’insoutenable pour mieux le réfuter, pour mieux le répugner. Saveurs d’abîme éclatées sur les parois de ce mur : la vérité ! Mondes détrempés de bonnes intentions où chacun souhaite faire quelque chose de bien et être quelqu’un de bien. Ivresse qui caresse au plus profond de l’âme la beauté séduite de la jeunesse qui s’effraie par la vieillesse !
  3. «Ô vraiment marâtre est nature/Puisqu’une telle fleur ne dure/ Que du matin jusqu’au soir.(…) Comme à cette fleur, la vieillesse fera ternir votre beauté.»

  4. L’implosion des mots dans ta chair atrophiée ronge les restes déifiés, parfois réifiés, d’un monde terni par la vieillesse. Avale-le ! Il sucera ton essence. Va, l’autel est à toi. Tu as la parole, mais tu n’as rien à dire. Tu es le signe, le symbole, le charretier des sentiments humains, mais tu arrives là, ici, échoué, couché, épuisé à cause de cette industrie qui te surpasse par l’espace qu’elle a capturé. Car lorsque tu as la parole, tu ne sais plus quoi dire. Tu ne sais plus rien dire sauf cette faim qui annonce le début de tes borborygmes : «Je n’ai plus d’espace où errer, plus de désert, plus de 40 ans. Il n’y a aucun Moïse qui viendra me libérer et se perdre avec moi.»
  5. Dis ! Parle ! Troue l’espace ! Tu as soif de paroles mais tu ne t’exprimes pas ! Tu n’es rien. Tu es un tas immonde. Tu as la parole, elle t’a été donné et tu ne sais pas quoi dire sauf fabriquer l’industrie du nombre qui te sert à trouver une vérité qui est ton mensonge le plus évident !
  6. Arrache la réalité à tes sentiments de perception et de persuasion. Évoque la terreur contre la terreur et inspecte-toi. Enlève tous ces murs, tous ces habits, tous ces voiles qui t’entourent ! Sois NU-E ! Veux-tu être éclairé.e ? Tu connais déjà la lumière. Tu sais ce qui est clair et évident. Tu n’as pas besoin d’être éclairé ! Mais ta parole qui ne dit rien veut, veut la lumière pour enfin dire. Et tu te caches de celle-ci et tu réinventes l’ombre puis le voile, les étoffes épaisses et les murs qui assombrissent ta vision.
  7. Te souvenant de ce qu’était la lumière puisque ces constructions finissent par altérer la perception de la lumière, voire dans certains cas l’obscurcissent complètement, tu commences par conclure que voir avec la lumière c’est quand même pas mal. Et tu parles.
  8. Donc tu élabores des outils puis des objets qui vont te redonner de la lumière et te permettre de voir ce qui est déjà éclairé. Tu appelles cela savoir. 
  9. Puis tu apprends ! Apprendre ! Apprendre et attendre. Ce nouveau chemin, inconnu de tous, scalpe les idées : là, ici, à côté, aux confins, le zéro, près de nous, au loin, de proche en proche, au centre, tout droit, en bref. La parole agonise à force d’être trop proche du dire et trop éloignée de la lumière.
  10. Les prophéties comme les prévisions se joignent aux statistiques et aux probabilités. Elles existent afin que naissent en toi la peur, le dégoût, l’horreur et l’illumination trompeuse. Tout cela n’est qu’une vile provocation. C’est exactement inverser la ligne du passé, c’est aller au-delà de ce que tu es. C’est déjà savoir que toutes tes occupations seront de faire en sorte que tes actions ne soient pas marquées dans le passé pour la charogne du souvenir, et, si jamais elles le sont alors ce sera comme une bataille entre vérité et mensonge, entre ce que tu montres et ce que tu voiles. 
  11. Prévoir le lendemain, le demain qui commence aujourd’hui, c’est la plus célèbre des blagues qui retourne ce que tu as été en ce que tu seras pour mieux te figer dans le présent avec la peur du souvenir et la peur de ce qui pourrait advenir. Angoisses inventées de toutes pièces par un système qui aime te faire peur. Que veux-tu donc oublier en échange du passé et de l’avenir que les inter-médias, la politique et la société fabriquent avec générosité ? 
  12. Que veux-tu donc prendre à cet oubli pour ne pas apprendre ?  Une civilisation qui vivrait sans aucun système de datation temporel ; sera-t-elle plus ou moins civilisée technologiquement, intellectuellement, spirituellement par rapport à une autre ? Le système de l’évolution doit-il être lié au temps ou aux inventions technologiques ? Les limites humaines n’ont-elles donc pas généré les limites temporelles, et, par conséquent, les limites géographiques qui exigent une séparation entre le dedans et le dehors, entre avoir des papiers et être sans papiers ? Dans une civilisation non assujettie au temps, chercheras-tu à faire quelque chose de mémorable, à définir le dedans et le dehors, à créer une seconde lumière qui viendra annuler la première faisant du savoir une illusion de l’intelligence humaine ?