Larmes infinies des vaincus

Croire

Ils crurent en un monde qui jamais n'avait fait l'épreuve du réel. Ils crurent en un monde qui ne viendrait jamais parce que telle est la condition de leur drame. 

Depuis des années, des siècles que le même discours dure ils pleurent d'infinies larmes sur le mausolée de leur croyance espérant que ces larmes deviendront leur victoire. 

Ils ont abandonné tout espoir, toute forme de création à un sacro-saint système qu'ils critiquent mais sans lequel ils seraient nus, déshabillés, perdus et oubliés.
Ils voudraient se forger une bonne foi pour toutes les autres mais ils n'écrivent que des pensées insipides, informes et si emplies de maladresses conceptuelles qu'ils ne sont plus capables de voir plus loin que le bout de leurs mots. 

Ils dévisagent le monde, ils envisagent un autre monde comme autant de possibilités aux sens interdits rougeoyants de honte, blanchis par la pureté d'une négation qu'ils ne voient plus. 

Ils peuvent croiser des milliers de fois le même panneau, ils continueront toujours à croire qu'il leur donne un sens puisqu'il leur interdit toute direction. Ils ne font que répéter les mêmes erreurs. Englués dans les relations qui s'étalent éparpillées en des milliers de lettres comme autant de rues et de chemins aux noms dépossédés de leurs significations ils pensent pouvoir trouver enfin quelque chose, une chose si importante qu'elle en devient un Graal. 

Faire de l'indéfini le Graal, c'est obtenir l’assurance qu'il y a bien quelque chose, que cette chose est bien là, que son existence est aussi prégnante qu'une direction : expression inédite qui, enfin, apporterait l'ultime révélation, l'ultime chemin qui mène vers la libération mais, à chaque fois, il n'en ressort que le rire.

Choisir

Toutefois l'histoire ne s'arrête pas là. En politique ils obéissent aux ordres "droite" et "gauche" et remplacent le premier par "fascisme" le second par "liberté". De simples jeux de mots d'enfants que les plus lucides nommeraient pouvoir de l'idiot. Droite, Gauche, Droite, Gauche, c'est sûr il y a quelque chose là-dessous dans ces mots aux assonances si réelles qu'ils ne leur manquent plus que les complots, les affaires, les secrets d'états et autres manipulations. Parce que c'est avec cela et seulement cela qu'ils peuvent s'amuser et comprendre si peu de choses de ce monde qui les entoure.

Les enfants sont heureux : qu'il y ait un père pour les fâcher ou qu'ils rêvent de ne plus en avoir afin de s'auto-fâcher eux-mêmes. Ils s'imaginent être les maîtres de cette chose indéfinie, de ce Graal dont ils n'ont aucune idée mais qu'ils vénèrent si chèrement qu'ils sont prêts à laisser passer les siècles afin de concrétiser les schémas qu'ils ne cessent d'auto-générer, d'auto-référencer, une peu comme une prophétie auto-accomplie puisque c'est dans l'accomplissement, l'accouchement de la chose qu'elle devient réelle mais pour aussitôt disparaître. Elle n'a jamais eu de consistance. 

Alors ils se demandent bien pourquoi tout cela est arrivé. La politique, l'économie, le système marchand et tout le reste qui va avec. Sans jamais avoir pu trouver la réponse ils défoncent leur monde expressionniste pour enfin trouver la chose qui, depuis longtemps, a disparu puisqu'elle n'a jamais été réelle. 

Dans les siècles, ils étalent des différents toujours la même histoire mais avec différentes temporalités, un peu comme un enregistrement qui passerait du rouleau de cire, au 78 tours, puis au 45 tours et, enfin, au 33 tours et recommencer avec le numérique. Ils auront beau changer la vitesse et gagner en durée tout en changeant le support que les solutions ne viendront pas. Couleur, espace et profondeur varient en fonction du support. 

Aujourd'hui la "droite" et la "gauche" sont les mp3 du monde politique, une sorte de formulation si compressée qu'il n'existe plus aucune saveur, plus aucune compréhension fine. Il n'en reste que les expressions les plus radicales, que les crêtes qui s'opposent afin d'indiquer qu'il y a quelque chose, une musique peut-être pour le mp3, un forme peut-être pour la politique souvent appelée réforme parce qu'un bruit de fond constitué par ses extrêmes ce n'est rien. Alors "droite" et "gauche" peuvent s'interchanger, se permuter aussi facilement que n'importe quel son, n'importe qu'elle note qui aurait perdu la portée de sa signification et dont chacun rechercherait la clef, ce Graal qui parfois s'appelle sol, parfois se nomme soleil. 

Ils ne cessent d'organiser des colloques, des forums, des conventions afin de saisir un instant ce qu'il ne se produira jamais, afin de savoir que ce qu'ils veulent est matière à discussions interminables et interchangeables en d’infinies histoires qu'ils construisent afin de voir le monde selon ces histoires racontées. Un film auquel on donne un sens est monté à partir d'une série limitée de séquences non juxtaposées. Chaque histoire fait sens mais lorsqu'ils veulent monter le tout en une forme cohérente, politique, ils s'aperçoivent que cela n'a jamais eu aucun sens ni même une signification réelle. 

Une civilisation plusieurs fois millénaires comme la nôtre (si on accepte le présupposé de notre calendrier) qui aboutit à ce seul slogan : « Travailler plus pour gagner plus. » comme acmé d'un moment voulant se déterminer « politique » exprime son échec, son incohérence mais aussi son désarroi face à la compréhension du monde. 

Certes ils ont bien compris qu'il fallait se remettre au travail de l'histoire mais interprété en une histoire à raconter oubliant les palimpsestes volontaires et involontaires. L'histoire, cet inconscient collectif, qui révèle l'incohérence, l'ignorance des peuples qui s'y frottent et de ceux, celles qui voudraient la gouverner. Ils crurent en une réalité qui jamais n'avait fait l'épreuve du monde. 

2008