Nous, les dépassés
Nous, les dépassés, Nous, les du passé, Regardons nos âges Qui S'effondrent Se perdent Se percutent Pour raconter La même histoire Dans ces contrats Aux insertions Incertaines. Qu'avons-nous eu ? Pas de formation adéquate, Pas de famille qui nous soutienne, Pas d'ami, pas d'amies capables De faire ce qu'il faut, Pas de rencontre qui permettent de bifurquer, Rien de tout cela Uniquement Le vide, Le creux, L'oubli, C'est notre seul lot Et surtout, surtout, Le jugement. Mais voilà qu'il se retourne Sur les autres comme un miroir Parce que l'être n'est jamais fini, jamais fait. Jamais il ne sera de la société Celui qui la fabrique Mais uniquement celui qui la consomme Pas de belles et bonnes écoles Dans des pays exotiques, Pas de concours honorables Qui pourraient nous Faire vibrer D'une vie heureuse Non rien de tout cela, Un seul et unique Contrat Que nous traînons Comme un boulet Et qui ne cesse de nous Affirmer que nous sommes Du rien La poussière On vient nous conter La réussite des autres, Les excellentes Études, Écoles, qui leur forgeront un futur Et, à nous, on nous fait croire Que se former fera la même chose Mais comme nous ne serons jamais Bien formés, nous aboutirons Toujours à la même Porte, Sortie, Figure. Nous sommes à la recherche d'un emploi, Comme nous sommes à la recherche d'une vie, Qui ni l'un ni l'autre ne se sont présentés A nos portes, Oubliés de la vie, Oubliés de l'emploi, Oubliés dans la carrière D'un CV toujours recommencé Mais qui ne parle à personne La seule chose que l'on nous promet Est un peu plus de Pression, D'oppression, Manipulation, Déception, Désolation, Radiation Parce que du rien Nous devons recevoir Le moins que rien Nous connaissons Notre destin Notre avenir Le seul qui aura valeur De lendemain : Mieux nous contrôler. Du contrôle sortira La rigueur du oui et non Du monde binaire Qui clamera notre Liberté : Tout ou rien. Mais rien Pour le plus grand nombre Car Tout est déjà pris. Notre choix binaire Sera le partage du Rien. Rien et Moins que rien. Notre vie ne sera Jamais assez l'esclave De la société Du social De l'administratif Il faudra que La société Le social L'administratif Vérifient encore plus Que nous sommes bien du Tout le Rien Qui n'a rien Et si jamais Nous possédons Un peu plus Que le rien Alors la sanction Tombera comme tombait La lame guillotine autrefois. Mais, mon ami, mon amie, N'espère pas autre chose. Si tu veux un avenir, Prépare-toi à devenir un Héros, une héroïne Parce que Le seul avenir assuré Pour les gens de rien Est celui De la puce électronique Dans les passeports Dans les "pass", Dans les cartes d'identifications, Et même, Dans le corps Pour mieux Nous allumer, Nous éteindre, Nous étreindre Comme des robots, Le rêve ultime D'une société qui se meurt ! Nous transformer En machines, Que l'on allumerait Et éteindrait A l'aide de la puce De l'ordre social Nous devons êtres Les robots biologiques Sans vie Sans compréhension Sans action Dont notre seule Et unique présence Est de produire de l'argent Pour d'avides Montagnes de billets Ils ou elles veulent un contrôle total Pour une soumission totale Pourtant mythe contre mythe Nous inventerons la théologie De la libération Nous inventerons Le héros L'héroïne Qui viendra nous libérer De notre soumission A la suite de guerres, De guérillas longues Et lasses Car tout ce que produit l'histoire Vécue du monde : ce sont des mythes ! Le jour où nous dépasserons ce stade Infantilisé de la vie Alors la prochaine civilisation saura enfin Ce qu'est le vivant, le vivre. Et, nous, les dépassés, Les bénéficiaires du rien, Qui auront lutté pour ce monde autre Nous ne serons plus là Pour raconter cette histoire Quand bien même nous en aurons été Les acteurs, les actrices. N'oublie pas que si tu travailles A la destruction d'un monde Personne ne se souviendra de toi, Personne ne viendra te glorifier, Personne ne saura que tu a existé-e, Personne n'osera même imaginer De la vie ton existence Personne ne sera capable de dire : "Tel jour à telle heure, l'ancien monde A commencé à disparaître et ceci grâce Aux héros, héroïnes que nous saluons". Du rien il n'y aura rien Et pourtant tu auras fait Quelque chose ! Tu auras transformé la vie D'un monde. Car tel est le chemin de la libération : Les premières années tu seras considéréE Comme le libérateur, la libératrice Pour les uns, les unes Et pour les autres, Tu seras un terroriste Puis le siècle d'après Ton histoire sera répétée Dans la mémoire et les souvenirs Des uns et des autres Puis le siècle d'après On ne saura plus vraiment Qui tu as été Quelques lignes dans un livre, Quelques souvenirs traîneront encore, Puis le siècle d'après Et les autres siècles, Tout le monde aura oublié qui tu as été Et ce que tu as fait On te confondra avec d'autres personnages, On te mélangera à d'autres histoires, Lesquelles auront peut-être été Vécues, Vraies, Mais elles seront tellement lointaines Que plus personne ne sera sûr de rien. Alors Ton histoire, Ta vie, Tes idéaux, Tout ce pour quoi Tu t'es battuE Ne sera que l'amalgame D'une histoire que l'on racontera, Une histoire devenue mythologie Un mythe si éloigné, De ce futur temps présent, Que plus personne ne saura Exactement de quoi Il s'agissait. C'est ainsi que nous t'oublierons. Je bois à la source le nectar, Et te dis : «Tchin Tchin».
2008