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Les néandertaliens chanteurs

« Il reste la possibilité qu’il ait existé un seul précurseur à la musique et au langage : un système de communication qui possédait les caractéristiques que nous attribuons à la musique et au langage mais qui a été séparé en deux systèmes à un moment donné de l’histoire de notre évolution. (…)

Ni l’expression “proto-langage holistique” ni “musilangage” ne sont des termes courants ou particulièrement informatifs ; en effet utiliser dans ces expressions le mot “langage” comme partie de ces mots est trompeur. En conséquence, j’utiliserai un terme différent pour se référer à l’unique précurseur de la musique et du langage : “hmmmmm”. C’est, bien sûr, un acronyme… » (…)

Il faut se rappeler que Hmmmmm signifie Holistic, Manipulative, Multi-modal, Musical and Mimetic.» (l’hypothèse Hmmmmm de l’auteur s’appuie sur la théorie linguistique d’Alison Wray) «Elle donne l’exemple hypothétique suivant : si dans un proto-langage holistique et manipulatif il y a une phrase comme “tebima” qui signifie “Donne cela à elle” et “kumapi”, une autre phrase qui veut dire “Partage cela avec elle”, un individu peut reconnaître que “ma” est un segment phonétique commun aux deux phrases, et, “elle” un aspect commun à leur sens. En conséquence un individu peut conclure que “ma” peut être utilisé comme référence à “personne femelle”. Notez que dans un proto-langage holistique et manipulatif, “ma” n’a aucune signification à une référence, il en va de même pour “kebima” et “kumapi” qui ne sont pas composés. Ce sont des séquences phonétiques arbitraires lesquelles ont, par chance, un son en commun.» (…)

La musicalité de hmmmmm aurait également facilité ce processus parce que la hauteur et le rythme auraient mis en évidence des segments phonétiques spécifiques augmentant, ainsi, la probabilité qu’ils soient perçus comme des entités discrètes avec leurs propres sens. (…)

En effet, la transition de hmmmmm vers un langage composé aura pris des milliers d’années, les énoncés holistiques fournissant une base culturelle à l’adoption progressive de nouvelles expressions et de mots structurés par des règles grammaticales. De plus les premiers mots ont pu, dès le début, être d’une importance majeur au locuteur lui fournissant un moyen de faciliter sa propre pensée, et, de la planifier plutôt que d’être un simple moyen de communication lequel aurait pu continuer à s’appuyer sur le système hmmmmm déjà existant.» Steven Mithen, the singing neanderthals. Harvard University Press, 2006 - traduction personnelle.

L’expérience des séquences aléatoires

En suivant l’hypothèse de S. Mithen, il est assez facile de retrouver ce processus de segmentation, de fragmentation comme objet fondamental. Ce processus est chanté à peu près partout sous différentes formes. C’est la même idée qui est exprimée et vécue comme une forme radicale de la création.

Reconstruire cette hypothèse par le biais d’un schéma graphique permet de mieux saisir sa forme radicale : le langage holistique, manipulatoire, multi-modal, musical et mimétique ressemble à ceci : ——————————————–.

Il représente une sorte de tout indissociable du reste. Mithen stipule qu’il devait probablement y avoir une époque où la musique n’était pas séparée du langage (mais aussi des autres formes d’expressions) ; l’avènement de séquences répétitives aléatoires puis distinguées comme objets d’associations et de relations devinrent intentionnelles. Elles permirent d’insérer des formes qui fragmentent le premier schéma sonore pour en modifier son état de base : ———–|———-|—|-|——.

Par ces opérations, un embryon de connaissance pointe son nez si on accepte l’hypothèse de Mithen, bien entendu. En se séparant du tout, en le fragmentant par des opérations de distinctions, d’associations et de relations et en quittant un mode d’expression dont le seul objet était la communication sans qu’il y ait un sens précis comme nous l’entendons aujourd’hui. Cette fragmentation se transforma lentement, durant les siècles, afin de prendre différentes formes, expliquant la fascination qu’exerce sur l’humain ce changement d’état. Les témoignages de ce changement d’état, son intuition en tout cas, parsèment les textes de la bibliothèque humaine comme autant de petites pierres ou traces sonores furtives, devenues muettes, d’un changement cognitif profond avec bien des implications au regard du comportement humain.

A l’intérieur d’un même système

L’ami commun est le souvenir de la musique et du langage dans lesquels tout était contenu à l’intérieur d’une même chaîne signifiante en un espace non dissocié. Il y avait une aube commune, un moment où tout était encore lié. Ne pouvait se distinguer la musique du langage, le son de sa distinction articulée. Ils formaient ce lieu possible où l’ensemble des significations reposaient à la fois sur leur musicalité, comme enveloppe, et sur leur parlé, comme distinction, sans vraiment pouvoir savoir qui de l’un ou de l’autre appartenait au langage ou à la musique.

Il n’y avait qu’une seule expression qui modulait l’ensemble de ces chaînes signifiantes en un système unique perdu dans les aléas de notre histoire. Nous en retrouvons les traces, ici et là, à l’intérieur du sens que nous inscrivons dans les chaînes avant qu’elles ne disparaissent complètement. Traces dont les significations se sont étiolées au fil du temps où leur musicalité est devenue un langage “oublié”. Du son, dans le langage, séparé de son amicalité musicale avec la langue n’a survécu que ce que l’humain percevait de lui au plus lointain : le souvenir d’un paradis perdu.