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Entre

Les bruits percussifs se retournent dans le ciel comme un orage. Arrivent les perceptions de leurs échos : langue primaire des cieux. Ils suggèrent une parole. Choc sonore de deux mondes qui se bousculent. Ils rythment le socle de nos connaissances pour en forger, par résonances saturées, un sceau qui éclate toutes les formes jusqu’à ce que le temps sonne le début comme la fin où l’humain serait le jouet de quelque chose d’autre venu d’ailleurs, en-dehors de la vie elle-mème. Le commun veut être le témoin particulier du stellaire événement où il devient vide comme une feuille attendant les prophétiques ordonnances à écrire, celles d’un temps particulier : le “futur présent” qui est là sans jamais se produire.

La pluie de nouvelles significations souille le sol fertile d’un charme ensorceleur tout comme l’éclair annonce, par la foudre, le cisaillement nourricier d’une différence supérieure et transcendante. Ces éléments, venus d’ailleurs, alimentent l’esprit en écritures de sens à deviner. Ondes subliminales transposées en phrases grandiloquentes, elles chassent les ultimes mondes qui, aux prises avec les prières de leurs proies écrites, façonnent les cierges de nouvelles flammes éperdues. Elles n’éclairent plus rien si ce n’est l’immobilité solide de la roche gravée. Pierre qui fonde un peu trop l’inflexibilité avant de venir rejoindre la souplesse de la feuille. Ce nouveau socle, tissé de mots au nombre des pages, accrocha son sceau au souvenir de cette langue qui se met en avant par sa venue d’outre monde. Elle brille d’un ensemble d’éclats aux formes de gouttelettes d’encres excavant un ordre qui ne veut plus de la simple liberté du vivant, mais une complexe étendue de devoirs aux images aussi rigides que le balbutiement d’un savoir où se dévoilent le plaisir infini d’un nouveau pouvoir inconnu jusque là. Les feuilles aux mortes expressions muettes vociférèrent l’histoire de ces crispations non encore rendues à la vibration. Désormais il y a un lien quasi magique, non naturel, mais bien venu de quelque entité spéciale, il ne peur échapper à personne.

Les bruits percussifs survivent au lointain et s’accrochent aux sons comme la vie s’accroche au vivant. Il fallait qu’ils pénètrent le sens en le frappant par l’unisson de la sidération et du savoir : une connaissance curieuse laquelle est à la fois sensible et théorique. Un tout singulier qui empêche toute division. Ces écritures de l’ailleurs emplissent le ciel de formes sonores aux limpides trépidations ; elles résonnent dans le monde comme une cave voûtée tintinnabule de ses propres échos. Elles accueillent sur leurs processions rythmées le plissage des nuages, le façonnement de la pluie, le souffle du vent, l’hébergement d’êtres perdus. Au croisement des significations se dressent des draperies écrites (pierres, codex, rouleaux, livres) ; ils mélangent toutes ces fascinations en un tableau d’histoires boursouflé de gigantisme. L’entente soudaine de ces réminiscences aux frappes parcourues de tensions tintées de grelots envoûtants approche difficilement la lecture idéalisée qui exige que ce tout, mélange de bruits et de mélodies, apposé au pouvoir livresque, et uniquement interprétable par ce vivant élu, lequel a saisi dans le vol des sons une pratique figée, fixée, immortalisée et rigide, bref, un mode de connaissance qui possède les atours de la fabrication de draperies écrites, exige que ce tout s’imprime dans le croisement de paroles et de sons effilés en un métier qui tisse et le sensible et la théorie afin d’encrer l’exacte affirmation de ce qui a été signifié par cette langue mise en avant d’un monde non humain.

Ces nouveaux chants figent les mots du savoir en de sublimes exagérations dont chaque drap dessine une des cordes possibles du monocorde mondain1. Elles s’accordent aux siècles qui défilent en innombrables matières à façonner la mélodie des principes et des choses puis elles traversent ce voile où il ne peut plus rien cacher : elles passent au travers de ces fils en espérant dénicher la bonne mélodie comme si les sons de ce lieu apparu d’on ne sait trop où acheminaient en eux l’harmonie qui compose leurs chants. L’articulation des sens a désœuvré toute une foule enchantée qui ne parvenait pas à trouver dans l’ailleurs de ces sonorités l’origine de leurs membres assemblés en proportions idéales dont les surfaces drapées en dessinaient la forme habillée qui leur serait adéquat. La chorégraphie des mélopées s’estompe à chaque motif de cette marche insolente laquelle n’avait jamais vue une source infinie frapper à la porte des sens. La place restreinte du motif dessiné avait prit la place de la couleur infinie. Le motif qui avait teinté le drap teintait, désormais, l’esprit. Il ne voyait plus que la teinture oubliant le drap : spiritualité infantile par abus de croyances.

Une richesse littéraire vint alors couvrir les angoisses de cette disparition sensuelle en un discours de joie. Masquer les espérances de la désolation future au cœur des pages, déposer le nœud secret au sein même du voile de l’encre, joncher la feuille de termes écrits afin de sceller voies et voix. L’ombre incertaine d’une étude recherchée par sa propre cause causée par elle-même, superbe imitation supposée savoir, approuve l’ordre secret de ces angulaires motifs transformés en souverains rhéteurs d’une conscience éparpillée. Soudain, dans le champ des compréhensions arrivées, au creux de l’écriture qui sillonne la page, un lieu épousé se découvre sans heurts voulus. Les termes aux motifs si expressifs surprirent une clarté aussi vaste qu’une clairière : il n’y avait plus de longues accolades absconses de rituels parfois mathématiques, parfois schématiques, parfois évasifs, parfois concrets et clairs, mais quelque forme qui prenait corps aussi certain qu’un arbre est arbre dans une forêt de clairières. Cette forme suivait une aube furtive qui suivait, elle-même, le chant de l’accumulation épris des éclats de lumières. Dès lors la nuit où se perdaient l’affleurement des choses dont les effets se perçoivent si vivement n’ondulait plus de spasmes lumineux, mais d’une lumière devenant permanente comme le soleil.

Le paradis des flux traversés détruit les pénibles douceurs de traductions approximatives, furtives et aléatoires en un monolithe de présence sourde. Cette forme qui révèle son élévation venue d’autres lieux peut secouer, sans crainte, les autres récits outrecuidants, car elle projette de la clarté sur le sujet le transformant, en retour ; il surpasse ses propres capacités puisqu’il peut, désormais, réfléchir quelque chose d’autre : ce qui est au-delà de lui-même et le sublime. Elle désigne les doctrines étincelantes, ruisselantes de quelque chose qui se surprend dans le secret de l’objet extériorisé se déplaçant vers le sujet. Ici le trésor, là la réponse. Les questions ne suffoquent plus de nuisibles aventures où l’espoir naissait d’une chrysalide de glyphes hiératiques enroulés dans des draperies étranges. Lorsque la forme apparaît, ces mystérieuses ruines s’effacent et s’entassent alentour tels des déchets que l’on veut oublier tout de suite. L’empire déroulé des draperies se mutile lui-même en duperies où habitent encore, dans cette pénombre de l’entrelacement des motifs, des réponses dont les rêves sont proches d’une clairière tout en restant dans l’ombre de celle-ci.

La forme est la route supprimée des souvenirs qui n’ont jamais existé. Elle se nourrit non plus des terrestres vacuités mais de ce qu’elle pense avoir perçu des stellaires interstices du savoir : « J’ai entendu notre mécanisme asphyxié, raccourci, courroucé par les illusions, caresser l’image naturelle de la certitude. »


  1. Robert Fludd. Il appartenait à un siècle où les savants préféraient les études générales à but universelles plutôt que les études à but spécialisées comme aujourd’hui. Ainsi Fludd comme Kepler pouvaient traiter des mêmes sujets, mais avec des points de vue totalement différents. L’idée d’harmonie universelle, le fameux traité de Mersenne, pouvait aussi bien recouper l’étude des objets physiques que musicaux sans que cette combinaison ne pose aucun soucis aux érudits de l’époque. Ce qui n’empêchait pas les controverses comme celle entre Kepler et Fludd d’exister : si tous les deux reconnaissaient une harmonie tant aux choses de l’univers qu’à notre monde les méthodes utilisées pour les étudier étaient complètement différentes. Pour le premier, elle s’appuyait sur les mathématiques et l’observation ; pour le second sur la métaphysique et ses liens occultes avec le monde physico-chimique. Pour Kepler, ce sont les lois de la physique qui allaient se révéler. Pour Fludd, c’est un processus un peu plus exotique : ce dernier repose sur l’idée qu’il existerait un élément non composé susceptible de pénétrer toute matière et de la transformer en retour ; un peu à la manière d’un levain transformant une pâte. Ce qui se cachait était une harmonie générale à découvrir qui attestait d’un invariant universel. C’est cette variation du savoir entre deux pôles distincts qui est vraiment intéressante à retenir.↩︎