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Le sens caché du son et son symbole (à la sauce stoïcienne)

Le point de départ de ce texte est une analyse de James Allen : « The Stoics on the origin of language and the foundations of etymology »

« La croyance que les mots encodent un contenu descriptif qui peut être redécouvert en trouvant les mots à partir desquels ils sont dérivés est à la base de l’étymologie stoïcienne (…). »

« Selon eux, les opinions reflétées dans les mots qui ont été formés au début de l’histoire humaine, quand le langage était encore jeune, étaient, en plusieurs points importants, supérieures à celles qui les décrivent aujourd’hui ; leur motivation dans la pratique de l’étymologie était la redécouverte de cette sagesse primitive. »

« Toutefois les Stoïciens croyaient, aussi, que le cosmos passait à travers des cycles de destruction et de renaissance ; la nature humaine et la culture se répètent encore et encore. En conséquence, il a dû y avoir des premiers orateurs pour chaque cycle de l’histoire humaine. Cependant ces premiers orateurs ont peut-être formé quelques mots propres, en-dehors des autres ; s’ils l’ont fait, cela demandait, d’abord, un stock de mots qui avaient été dotés de sens sans être dérivés d’autres mots. Si cette méthode était poussée assez loin en arrière, alors la recherche étymologique devait arriver à un point d’arrêt avec ces premiers mots. »

« Le sens de ces premiers mots a dû être fixé arbitrairement par convention ; ainsi le sens des ces mots primitifs (les premiers de la chaîne, NdT) ont été assignés par chance alors que la composition des mots dérivés est gouvernée par des règles différentes. »

Note: ce texte forme, plus ou moins, l’inverse du suivant “Remonter à la source” ; les deux constituent une sorte de boucle de Möbius.

Dans le son se niche un principe : celui de quelque chose qui se commence afin de se savoir sur lui-même comme essence de ce qu’il est. Par cette auto-référence, il enferme, au plus profond de lui-même, l’encodage, la clef qui ouvre la perception du signe disjoint d’une forme différente, non séparée : le voir tel qu’il est à l’aune du tout. Cette chose principielle, sûrement perdue, est recouverte par la courbe du temps. Elle l’a transformée en de nombreux symboles qui l’enveloppent pour mieux la perdre. Ils suggèrent la configuration d’un concept impliquant un même type de construction. Quel que soit le son employé dans le mot, des figures identiques, empreintes sonores d’une origine principielle, signes de quelque chose d’autre, apparaissent comme la réutilisation d’un même monde aux parallèles enfermées par cette chose qu’est le son dans son commencement.

Information encodée, segmentée, divisée en autant de sens lesquels tendent vers une unité supposée. Il existe, non plus, des orateurs mais des décodeurs afin de maintenir la jonction vers le principe au seuil de la signification qu’il faut ouvrir sans jamais nommer ce qu’il contient. Le décodage de cette empreinte première n’exprime en rien le signe de ce qu’il est. Il regorge d’étendues parcourues qui imitent un paysage en quête de choses inconnues, disciples de l’expérience, enfants des enchaînements exprimés. Il fabrique des chemins tracés qui s’approchent de l’histoire. Tout cela s’harmonise à l’intérieur de la transmission. Le décodage est cette étymologie qui ne se finit jamais. Elle remonte sans cesse toujours plus loin dans la narration sans trouver son point d’arrêt. Elle est la dérive qui se déchaîne du sens à l’instar du trait inscrit qui se divise du tout demandant continuellement à l’autre une chose qu’il ne peut dire. Elle devient la parole énigmatique qui a besoin de la clarté de la clairière. Elle précise qu’il faut remonter vers un début comme on remonte un cours d’eau vers sa source.

Et la quête de l’universel présuppose qu’une formule simple, enfin décodée, puisse ramener l’ensemble des encodages trouvés vers cette chose, source unique s’étendant partout en toutes choses. Naître à l’universel, c’est connaître la ou les clef-s, savoir ce qui est encodé ici et là, en chaque individu comme en chaque lieu comme en chaque construction soumis aux mêmes lois de l’expression. Naître à l’universel, c’est décoder ce que d’autres ont encodé dans la mesure où tout est langage ; il enferme les variations infimes de l’expression collective. L’universel est cette expression de l’identique, une sorte d’équation littéraire, qui exprime par l’extérieur quelque chose d’intérieur, d’enfoui afin de former une même signification, présente en chaque instant de ce monde sur lequel ont été imprimés des codages symboliques.

Un monde inconnu a été dévoilé dans lequel vivent les relations au principe. Elles croient être plus réelles que la vérité et le vraisemblable réunis. Elles ont réussi à éclipser les années, à arrêter le temps. Elles sont dans un ailleurs du monde, là où l’espace de leur sens muets prend toute son ampleur. Enfermés dans leur volonté signifiante, elles se vivent comme si elles étaient de parfaits en-dehors qui savent quelque chose sur leurs propres intériorités. Elles sont la profondeur des profondeurs. Elles exercent une telle pression envers le sens qu’elles arrivent à en gommer toute distinction : le dehors comme le dedans, le haut comme le bas ne sont plus qu’une seule et même chose. Elles forment ainsi le cœur d’une possibilité laquelle transparaît dans l’indistinction comme moyen de franchir un seuil. Tout étonné de voir ce qu’elles sont devenues : des choses tout aussi palpables que le son, l’humain choisit de les faire naître en franchissant le seuil afin de comprendre ce qui se cachait dans ce monde qu’elles encodaient.

Les symboles nous appellent à la contemplation d’eux-mêmes. Ils nous attirent vers nous-mêmes et nous étire vers eux. Ils disloquent l’être, le séparent de toute fixation. Tout être arrive avec ses liens propres lesquels l’attachent au lieu commun de leur présence. Avec eux, il se retrouve dépaysé, détaché d’un lieu qui ne lui est plus commun. Pourtant tout aussi différent qu’il soit, il est en tout point identique au précédent sans que rien ne soit changé ni transformé. Il passe par l’image du lien au principe pour retrouver la trace de ses propres pas comme si la marque de son passage était l’expression d’une énigme qui aurait transcrit dans son message quelque chose d’autre.

Remonter à la source. Enfin commence le son. Celui-ci affine les futures représentations à l’instar du symbole qui ajuste l’essence au profit d’une origine principielle. Il dessine une représentation sur laquelle est transposée un plan, une dimension. La juste équivalence entre le son et sa représentation sur un plan montre le chemin de la signification. Reporté à deux dimensions, il est un trait qui apparaît. Il prend la forme qui précise la nature de la surface du plan. Il invite l’être à l’attacher à la signification. Il opacifie la compréhension en transformant une abstraction en un objet concret. Palpable, il se modifie en une masse perceptible tenue presque pour un objet quasi identique à ce qu’il est censé décrire. Il fabrique de la perception en devenant présent à la connaissance. Il forge une réalité concrète, inséparable du monde qui le montre, le révèle tel un secret ; il ouvrirait d’autres chemins vers d’autres lieux où il y aurait de nouveaux objets en quête de liens. Il se révèle dans la splendeur du signe à la vue de tous.

Sur le plan, les ombres taillées par le mouvement du trait, signes discernables par la grâce lumineuse des symboles, indiquent la provenance du corps ainsi éclairé. Rythmes majestueux où la lumière s’intercale dans la vision. Elle dresse la perception en des confins que seule la compréhension ose aborder. Elle ne cesse de glisser au travers d’eux, parcourant l’immensité du plan qui devient son univers et se détache de toute observation sensible. Elle projette un espace en séries de mesures aux lointains alentours, proches, peut-être trop proches de la signification. Alors elle s’amenuise lentement pour redevenir elle-même une ombre aussi sombre que l’espace parsemé d’étoiles. L’ombre de la lumière est plus visible que la lumière elle-même.

Le symbole masque volontairement les dimensions du plan puisqu’il appelle à sa propre contemplation ; il est ce qui s’approche et ce qui éloigne. Il ne veut pas du son qui sait si bien exprimer ce qu’il n’est pas. Le symbole voit la véritable nature du monde, celle qui marie le plan au son en gouttelettes d’un savoir encore immature. Il s’échappe des mots qui le décrivent afin que la pensée s’arrête en lui, ne puisse aller plus loin. Par subterfuge, il appose un nom en cet arrêt et se développe en un savoir né d’une limite. C’est là toute la connaissance du symbole. Il façonne une immense limite digne de s’ériger en connaissance. Par cette allégorique construction, de l’autre côté de ce nom frontière, il laisse entrevoir l’existence d’une réalité autrement impossible à saisir. Il forge l’art d’esquisser les limites de sa lumineuse présence afin de projeter l’ombre laquelle cache le son, l’enfouit pour l’oublier, tout en traçant les contours du principe.

Le son est toujours indication d’une connaissance qui n’en est pas une. Indication d’une ignorance lentement installée avec le temps avant de se changer en significations et symboles. Ils fabriquent une transcription, une traduction de l’indication sonore et, ils inventent des systèmes de représentations où les limites se figent comme un lieu spécifique, propre à une harmonie. Celle-ci est la conjonction d’un temps dans un espace afin de devenir un paysage mémorable, une belle bâtisse, une clairière, bref un lieu. Le son puise dans cette source inépuisable du lieu afin d’indiquer qu’il y a quelque chose de symbolique.

Ces lieux où le son se fige sont les ombres indiquées de la compréhension, ressenties comme un langage d’abord sans connaissance puisque symboliques. Ils invitent à dégager de leurs limites ce qui les érige vers le savoir. Lieux aux formes tangibles, plausibles apparaissant comme exprimables et palpables.

Ils portent en eux la suggestion du son lequel les appelle à fabriquer quelque chose de primordial. Il n’est pas encore un nom, une définition. Il invite à le nommer selon l’ordre de la compréhension. En chaque son sommeille la solidification, l’indication et l’apparition du lieu lequel se met à parler à tout être en lui renvoyant cette suggestion : « tu es ». Il résonne de ce contact à mi-chemin entre le symbole et sa vibration sonore qui suggère la fabrication d’un nom. Rien ne se définit en lui jusqu’à ce qu’une créature perçoive cette chose si lointaine qu’elle ne peut que fournir une reconstruction, une reproduction, une représentation appelée à devenir les prémisses d’un langage. Et de ce langage se cloisonne la forme d’un savoir qui se lie définitivement au palpable. Tout ce qui était possible auparavant se réduit en symboles dont les limites façonnent les futures propriétés. Polysémies du son qui tente de redonner une nouvelle forme palpable, là où justement il n’est pas encore complètement défini. Ce retour au palpable change la définition du son alors l’humain découvre que les noms qui parcourent son langage sont autant de propriétés qui stratifient son savoir. Il saisit, en cet instant, devenu lieu, cette perte du langage qu’est le son. Mais il ne peut achever, accomplir ce chemin que si le son, au préalable, étant indication l’invitait à se perdre.

Les lieux où se perdent les sons mais où persiste le palpable du commencement suggèrent que le but de cette tension vers la connaissance, fabriqué par les symboles, sera la création d’un système lentement élaboré au cours des siècles s’approchant d’un alphabet. Fabuleuse condensation d’une construction où se combinent de nombreuses significations. L’alphabet est un être hybride qui se déplace là où il peut sur le plan où chaque forme prenant le dessein de lettres exprime l’invariable combinaison des images symboliques laquelle se définit en une série infinie de variations. Elles élaborent un nouveau lieu à partir d’un nouveau plan. Par une incroyable transmutation le son devient visible et se projette sur les parois caverneuses : naissances des toutes premières représentations où la reproduction de l’immédiateté se différencie du réel vécu. Telle est notre mesure qui saisit dans ce geste de la reproduction l’espace abstrait qui nous sépare de l’immédiateté du réel lequel ne cesse de nous modifier en retour. Serait-il possible de modifier le réel en changeant son mode de reproduction ? La magie débute.

Cet espace abstrait qui nous sépare du réel est cet immense champ cultivable où le réel dans son immédiateté nous échappe à jamais : la récolte des symboles peut commencer.