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mouvements

Mouvement zéro

infini]

L’infini est tout ce qui est espace. Il est tout ce qui est intégré au tout sans distinction possible, tout est égal, tout est confus selon son propre espace qui n’en est pas un.

immortel]

L’immortel est tout ce qui est temporel. Il est le vivant qui ne peut mourir. Il vit dans chaque forme biologique, organise son propre temps qui n’en est pas un.

éternel]

L’éternel est tout ce qui est continu sans espace ni temporalité. Il est tout ce qui est intemporel. Il est l’infini spatial d’une immortalité temporelle.

Premier mouvement

Le son frappe à la porte des syllabes. Elles l’enferment et l’emprisonnent. Liquéfié par la formation des mots, les sons ondulent de bouches en bouches. Les mots se pétrifient dans l’écriture, les sons disparaissent dans l’air. Chaque articulation des mots se transmue en une image qui prend la forme d’un son effacé. Il se cache dans le trait signifiant de l’écriture.

Second mouvement

Depuis la disparition du son les mots voyagent dans le temps. Ici ou là, ils traversent les dimensions et voient le monde comme une presqu’île qui n’a pu se séparer de ces naturelles formes sonores. Ils questionnent les agglomérations infinies où se cache le son sans pouvoir le dénicher de l’endroit significatif. Ils finissent par voir leurs architectures en relevant de leurs bordures inscrites les limites au son abandonné. Il disparaît sur ces frontières fragmentées. Ils ne peuvent plus être le son.

Il scrute, encore et encore, ce monde si différent du sien. Il perçoit les limites lesquelles sculptent de nombreux objets, de papier ou de pierre. Il ne les reconnaît pas. Elles ne sont que l’ombre de lui-même qui s’attachent au monde comme une réalité éternelle.

Il croise l’onde gravée en son cœur par les palpitations allégoriques des mots, là où il n’y a plus de place pour le son.

Troisième mouvement

Perdu dans l’air, mélangé à la parole, substitué par l’écriture, né au-delà de sa forme propre comme moyen de transmettre la connaissance, le son fragmenté est pris comme un tout capable de circuler entre les définitions de manière totalement fluide, tout comme l’est l’eau. Il se laisse manipuler jusqu’à devenir phrase, pâle reflet de ce qu’il n’est plus et n’a jamais pu être.

Il regorge de détails infinis que seule sa prononciation ne suffirait pas à décrire ni à contenir d’où le besoin de porter la nature de sa forme qui se différencie du reste du monde.

Quatrième mouvement

Il se dissémine sous la voix en une langue, un spasme afin de prendre à l’extérieur l’image de sa propre présence. Il exige de celui, celle qui le parle d’expliquer quelque chose qu’il ou elle aurait perdu.

Cinquième mouvement

Au sommet des voyelles flammes et des consonnes liquides, enfants plongés dans les conversations, aspirés par l’existence du son qui n’est jamais solide. Il est l’hybride, l’être à mi-chemin de l’humain qui s’installe dans l’esprit comme une âme.

Il ne dit mot, mais suggère quelque chose qui n’a pas encore les moyens de prendre à l’extérieur des frontières ce qu’il se noue dans la définition. Il suggère par un souffle persuadé que le mot est ce par quoi tout être peut saisir quelque chose à expliquer comme distinction séparée du tout.

Et ce modèle veut, sans cesse, chercher l’inconnu, l’impensable, l’inimaginable, l’infini, l’immortel, l’éternel. Il n’y a que par ce moyen où le son peut ressortir de l’humain esprit sans même n’avoir jamais rien entendu de lui-même et de l’humain dans lequel il siégeait.

Sixième mouvement

Cette modélisation retranscrit en une langue le cloisonnement du son en une infinitude composée de lettres et de syllabes recomposées sans cesse. Cette lointaine réverbération sonore résonne partout où elle peut s’inscrire pour se fixer sur chaque mur, sur chaque feuille. Fruits délicieux qui s’épanchent à travers le monde comme le son lorsqu’il n’est nulle part enfermé. Ses murmures appellent la recombinaison infinie, et, provoquent l’envol des langages.

Septième mouvement

Une fine couche de langages s’étale sur les parois de nombreux édifices. Ils occupent tout l’espace. Ils apparaissent, disparaissent, avancent, trouvent, s’arrêtent, continuent puis changent de langues pour devenir la fin de leurs formes impensées façonnées sur les frontières de leurs apparitions. Jamais identiques alors que des schémas, plus ou moins réguliers, offrent l’idée d’une même structure relationnelle. Ils génèrent une répétition, une alternance aux formes innombrables dont le rythme est le temps. (Et ils offrent une histoire.)

Huitième mouvement

Les langages inspirés du son prennent la forme d’une histoire qui part à la recherche de l’écriture laquelle donne à ce mouvement une autre harmonie en train de se découvrir et qui ne serait pas celle du son, mais prenant sa propre direction. Elle se plie, se déplie, se replie telle la pensée qui n’est pas elle, telles les histoires qui ne sont pas l’écriture. Sa composition est posée entre deux mots, elle se faufile dans les différentes faces musicales des significations. Elle se nourrit des mots qui voyagent en elle. Elle est ce par quoi nous sommes censés élaborer une réflexion : signes de ce que le son fut. Elle est aussi bien le fragment que la totalité pour laquelle l’humain converge en un seul bloc dans l’espoir d’y découvrir la réponse. Elle choisit pour chacun une manière de s’exprimer. Elle n’est jamais ce que l’humain est ni ce qu’elle est. En cela, l’écriture est la lointaine amie du son qui se rappelle de quelque chose d’indicible à son propos.

L’écriture n’est ni un langage ni la phrase ni le mot. Elle les utilise car elle sait qu’ils sont l’expression la plus proche de ce que forme le son. Elle emploie ces schémas afin de faire naître en eux l’idée d’une autre forme à la présence mystérieuse, en-dehors d’elle-même. Elle est cette matière brute qui se transmue en une apparence intrigante et étrange. Elle est cette ligne droite, séparée de la continuité. Elle traverse l’esprit d’une seule traite pour s’exposer comme une fine couche sur de nombreuses frontières construites.

Neuvième mouvement

Elle est un changement d’état qui percute une histoire, celle de l’humain, car elle lui signifie qu’il y a un infini qui se répercute dans sa lecture éternelle, fruit de sa propre immortalité. Elle est la matière qui donne à l’écriture la vie en indiquant que tout cela est possible en changeant simplement quelque chose de son état premier, brut.

Dixième mouvement

Que de traces dans les papiers, les édifices et les tablettes déclarant la quête de ce qu’elles ne sont plus. Elles creusent les interstices du sens comme autant de signes qui furent et qui ne sont plus. Autrefois pleins de saveurs, aujourd’hui papiers, tablettes et édifices se vident comme un puits sans fond. Ce qu’il reste de leur gloire ancienne passe encore par eux. Présence si fugace, qu’il n’y a presque plus rien à dire. Il ne reste qu’un souffle léger, à peine perceptible comme si le temps avait profité qu’ils soient figés en un lieu précis pour défaire les voiles, les couches, les palimpsestes qui masquaient la chose la plus précieuse qui devait rester.

Onzième mouvement

Les histoires s’envolent des papiers, des tablettes et des édifices vers un ciel sans images où leurs mémoires contées s’effacent. Dans leurs souvenirs plus rien ne s’inscrit ni ne s’échappe. A côté des écritures, habillées par les questionnements de l’esprit, un minuscule flot dépose le soupir de la connaissance. De ces petites bulles d’esprit le texte part silencieusement à la conquête d’un autre monde. Au début il rampe sur le chemin de la musicalité, puis traverse la route des phrases et participe à l’élévation de l’esprit. Il se transforme en une spiritualité dont l’harmonie change l’état sonorisé en une ribambelle de mots enchaînés les uns aux autres.

Les échos du passé ressurgissent comme une totalité fragmentée, une ombre à peine éclairée où le reflet de la pâle lumière qui s’immisce distille des espaces de compréhension. Ils illuminent ces lignes en courbes et droites. Ils passent de pages en pages où les phrases, les mots, les sons offrent l’effacement de leurs présences pour glisser vers l’apparition du texte. Il est la propagande du son qui rebondit sur les mots dont l’histoire n’est que le vague support de cet autre monde à l’état changé.

Douzième mouvement

L’œuvre inspirée du son continue le chemin par-delà les simples phrases pour s’inscrire dans l’esprit comme métaphores et symboles. Elles dessinent des lignes de vie apparentes et sculptent une image qui se nourrit de ce que nous sommes. Elles façonnent un être de paroles qui se transforme. Il voit en elles un univers et de la vie. Elles voyagent, au fil du temps, dans chaque esprit qui les reçoivent. Leurs effets ont pour but de dégager une dualité qui leur permettent à la fois de se mélanger, mais aussi de se séparer de l’esprit qui les reçoit. Lorsqu’il perçoit ce détachement, en un court instant, quelque chose de vide aux bordures permanentes s’inscrit : un rien dont la présence indique tout ce qui est un texte et tout ce qui n’est pas lui. Lors de cette descente, il a croisé l’infini qui ne peut se loger dans le fini. Ils peuvent se poser l’un devant l’autre, mais jamais ne vivre ensemble comme si l’un était la négation de l’autre. Cette double perception leur donne sens à ce qu’il nomme vie. L’infinitude sonore ne peut se contenir dans le texte. Et c’est, peut-être, là, l’ultime transmutation du son.