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Tensions

L’espace sonore transcende la cavité corporelle en une immaculée perception. Les ondes se collent aux fils électriques tels des odes musicales où nul auteur ne peut être déterminé. Les pulsations rythmées projettent sur le corps une clé de séparation. Sur le sol, un mélange flasque, véritable flaque de vie, devenu hyper-fluide s’étire, s’allonge, se rétracte en se mêlant aux sonores vibrations. Ce mélange épouse le contour de chaque note. Devenu espace bi-dimensionnel ayant laissé la troisième au squelette qui rit de ce nouvel état. Ce nouveau corps, envahi de globules sonores et didactiques, assèche les derniers sursauts d’un pensée logique. L’amas visqueux contemple le visage rude de cet endroit nouvellement sonorisé : rien n’échappe à la folie organisée des sons. Chaque goutte de son franchit ce corps perturbé en sensations nouvelles.

La lumière étale les horizons cachés où se terrent, parmi eux, les ordres sacrés de lois secrètes qui forgent la parole. Des orbes ensorceleurs chassent les éléments de l’horizon en un seul et unique symbole. L’éternité qui ne connaît pas le son de son nom pénètre la conscience de l’être au seuil du pouvoir lequel disloque le langage. Les éléments décrivant leurs sonorités délavées au creux de ce déplacement, sortis de leurs carcans historiques, protègent silencieusement l’essence du parlé. Jargons voués au désastre de l’équilibre, ils perturbent l’espace de leurs savoirs avides de sens encore inconnus. Pâles lueurs, odeurs rituelles et parfums d’esprits se mélangent dans le regard de ce miroir.

Spéculaires sont les notes de la poussière. Y survivent les textes salis aux humeurs d’ondes salivaires. Elles dévorent la connaissance en perforant d’immenses accumulations de sens. Odes qui n’existent plus que comme le secret qui scelle la voix. Perdues dans les broussailles du savoir entremêlé, elles courent, courent et courent encore vers la découverte finale : celle où tout se sait déjà parce qu’écrit quelque part : elles furent et ne furent jamais.

Le syllabaire sonore ternit les orgueilleuses ondes éprises d’apprentissages biscornus, elles entretiennent l’écriture en un concret et curieux sens du matériel qui se fabrique à l’aide de raisons bien gardées. Persuasions inutiles, perceptions immobiles : telles sont les sphères labyrinthiques de ces oracles aux sonorités chancelantes et parfois figées. Les murs devenus écrits, scindés aux sons magnétiques de douces paroles perçues comme choses réelles, pulvérisent les dernières pierres morcelées de croyances ancestrales. Par ces temps nouveaux, chargés de leurs compulsions abusives, des fleurs allusives naissent un peu partout, fières de leurs enregistrements de pierres et de papiers, elles s’adressent à toi en myriades de couleurs soudées pour te transformer tout en n’exprimant rien.

Cette danse, aux ritournelles désuètes, se perpétue en partitions ordonnées aux rites sacrés autour de cendres éteintes comme la braise qui, par son feu créa l’évanescence même de la disparition. Seul le chiffre, propriété si humaine, pense que le monde ne peut être que mathématiquement continuel ; il brûle les paupières sauvages de terres diluées par l’inconnu en branches ramifiées où se cassent un à un les grains de sables en unités parce qu’ils doivent entrer dans une histoire sans scories. L’opulente charnière de cet arbre historicisé, abreuvés de soupirs inespérés, se perpétue autour de chaque cendre qui s’agenouille à la forme énumérée. Mariage sceptique d’une bougie et de sa flamme estompée, figures de proue d’un navire fantôme, elles auscultent le souffle occulte des âges, multipliés pour l’occasion, en flottes ondulées d’un banc de nuages amassés sur l’océan des bibliothèques ; elles se bercent au firmament de la mer aérienne du sens.

Alors la lumière éclate et transperce ces nuages en vapeurs de chastes étoles non encore tissées, ici et là. Il n’y a pas encore un sens commun qu’il soit d’une divine sensation ou d’un raisonnement tout humain ; il n’y a que des corps fantomatiques aux esquisses de paroles non encore énoncées. Elles ne demandent qu’une chose : l’apparition. Les futurs médailles d’un savoir si précieux qui veut se savoir suintent de prétentions théâtralisées en affirmant qu’elles pourchassent vigoureusement, de leurs voix enjouées et enrôlées par les cohortes sonores, les espaces vides de sens : il n’y aura plus d’inconnues. Telle fut la grande promesse.

Comme un lent écho surpris au travers des rideaux d’un soi sulfureux, la note éclatée transforme l’alentour vidé en seuil d’une vie trépidante. Ce tremblement s’inscrit sur les murs de nos esprits emprisonnés où se sculptent les lettres d’un code-corps-spectre-secret. Enchevêtrés aux milles tourments de la signification, plus rien ne se comprend. L’unique fléau des ondes balancées sur les champs à moissonner résonnent en séparations du bon grain de l’ivraie. Teintes atrophiées de spores affamées d’écritures afin de clôturer les espaces. La charge des livres, aux parures flamboyantes, inscrivant le sens sur le sol mouillé, délavé, asséché de papiers non encore recouverts de signes à récolter s’envole en un concert de sonorités charmeuses et humides dont les promesses où la création ne pouvait que naître furent d’enchanteresses toiles tissées aux ailleurs non encore contés en histoires. Ces milliers de feuilles aux arguments empilés les uns sur les autres se dérobèrent de leurs pages et jonchèrent les sols de semences aux nudités dévoilées dont il manquait une eau, une encre, une ancre pour s’enraciner et fabriquer un monde mutant de lui-même. La vie s’oublie comme les mots. Ils tombent de la profondeur des pages et se confondent en d’insouciantes graines infertiles. Cruelles les grâces de la vie ne se reflètent plus dans le miroir de ces murs et de ces papiers tissés. Elles congèlent, flagellent le regard de l’être qui veut se savoir comme la connaissance semble se connaître d’elle-même. Elles figent si facilement une vie qui n’en est pas une. Tout cela est la fabrique d’une illusion, l’empire des ombres tracées sur le papier.

Les figures figées s’inscrivent parfaitement sur les tissages élaborés dont les reliures recueillent, presque sans aucun bruit, les ombres d’une vibration qui se mêle à ce nouvel édifice empirique dont la téléologie est de nous tirer de notre torpeur face à la « sagesse » supposée du vivant. Comme Cicéron, nous devrions craindre ces objets ombrés, mais nous préférons l’affirmation : “Il sait cela ! Il doit bien le savoir !” Désœuvrés de la nature, nous ne possédons pas ce qu’elle vit de nous sans même savoir ce que nous savons : ultime outrage. Condamnés à nous loger sous le presbytère de l’écriture, au chœur de nous-mêmes, nos sens ramassent les poussières d’une œuvre qui doit s’assembler, se forger pour apparaître. Puis vint ce qui se révéla simplement en un message à l’aspect étonnamment étrange. De nos soupirs endormis, à peine éveillés, nous égrainons les bribes d’une chose fragile. Elle s’échappe de nos corps béats comme chose que nous ne savons plus voir, que nous ne pouvons croire ; alors prônant la diligence de ce qui nous échappe nous lavons ces soupirs déçus, parfois déchus en rêves surpris d’un autre monde.