Quand le futur modifie le passé : « star trek next generation »

L’histoire

Le capitaine du vaisseau spatial « enterprise », Jean-Luc Picard, se retrouve projeté dans différentes époques de sa vie : au début de sa carrière (qui fait référence au premier épisode de la saison 1 de la série), puis 25 ans après où il se retrouve à la retraite mais avec des visions étranges, puis la période présente, celle de la série. Petit à petit Picard va comprendre que ces trois périodes dans lesquelles il est projeté lui montrent 3 étapes essentielles d’une anomalie temporelle à la frontière du système Devron. Q, un être quasi omnipotent existant dans un plan extra-dimensionnel, se révèle être la cause de ces projections dans le temps de Picard (Q est un personnage récurrent qui est aussi dans tout le premier épisode de la série). Il apprendra de Q, qui le lui suggère plus qu’il ne le lui dit, qu’il est à l’origine de la disparition de l’humanité. Désormais Picard va s’attacher à résoudre cette énigme qui se déroule simultanément dans trois périodes de temps différentes.

Q et le continuum Q

note : en ce qui concerne les références au continuum Q de la série, je m’appuie sur la célèbre encyclopédie dédiée à l’univers de star trek « memory-alpha ».

Pour mieux comprendre la nature et le but de cet épisode, il faut d’abord donner quelques explications sur le personnage de Q et son univers.

Le continuum Q est un plan d’existence qui se trouve en-dehors de nos dimensions connues (plan extra-dimensionnel) où vivent des entités intelligentes connues sous le nom de Q. Q définit aussi bien une apparition humanisée de ces entités que la société Q, elle-même, regroupant toutes les entités vivantes dans ce plan d’existence. Q est, en conséquence, à la fois une distinction pour nous, êtres humains, qui avons besoin de distinguer pour dissocier et percevoir par nos sens aussi bien qu’une auto-référence quasi indissociable à quelque chose de beaucoup plus vaste, le continuum Q, que nous ne pouvons pas appréhender par nous mêmes ou, du moins, notre nature biologique nous empêche de les percevoir autrement.

Les Q, en tant que race, sont immortels mais peuvent mourir (sous certaines conditions), sont quasi omnipotents ou omniscients. Ils disposent d’immenses pouvoirs comme la transformation instantanée de la matière en énergie, la téléportation, la possibilité de voyager dans le temps. Ils peuvent modifier les lois de l’univers pour créer des réalités alternatives voire même modifier les constantes gravitationnelles.

Grâce à ses multiples capacités Q va initier Picard, bien malgré lui, à de nouvelles perceptions et compréhensions de l’univers. Quand bien même Picard est toujours méfiant vis à vis de Q qui agit d’une manière presque incompréhensible voire hautaine envers la race humaine et lui-même, ce dernier va donc lui donner, par la démonstration spatio-temporelle, une perception de l’univers aussi étrange qu’incroyable. Un cadeau inestimable de la part de Q qui bouleversera Picard.

L’initiation de Picard

Première étape

Sans qu’il puisse se l’expliquer Picard se retrouve presque instantanément projeté à plusieurs époques de sa vie. Au début de sa carrière au sein de l’Entreprise, puis 25 ans plus tard, lors de sa retraite où il découvre qu’il est atteint d’une lésion neuronale irréversible susceptible de créer des hallucinations (syndrome irumodic). D’ailleurs il commence à en avoir. Puis il se retrouve au tout début de sa carrière. De retour vers son époque présente, il en discute avec la psychologue du vaisseau qui lui demande si ce ne sont pas des rêves. Il nie cette hypothèse, ce qu’il vit est trop réel même si c’est déroutant au départ, il sait, intérieurement, que c’est l’ordre logique des choses de sa vie. Il garde quelques souvenirs épars de ses voyages dans le temps lesquels deviendront de plus en plus précis par la suite. Après un examen médical qui ne révèle rien, il demande au médecin du vaisseau de vérifier l’hypothèse d’une lésion neuronale. Le médecin décèle effectivement le tout début d’une lésion (syndrome irumodic). Au même moment il apprend de sa hiérarchie qu’une anomalie spatiale inconnue, apparue dans la zone neutre avec les Romuliens, semble provoquer un certain désordre. Il a pour mission de s’y rendre uniquement pour observation sans intervenir.

De retour vers son futur, il commence à devenir irritable, sujet à des hallucinations plus ou moins constantes. Un de ses amis pense que le syndrome commence à le rendre sénile et que sa maladie est plus grave qu’il ne le croit. Il refuse cet état de fait et décide, avec cet ami, de consulter Data, un robot humain, pour essayer de trouver une réponse à ces énigmes. De retour vers son passé, il prend conscience qu’il ne peut expliquer à l’équipage du vaisseau ce qu’il se passe. Il est sujet aux mêmes hallucinations dans cette époque. Une même anomalie spatiale apparaît dans la zone neutre à la frontière Romulienne. Bien qu’il reçoive l’ordre de s’y rendre. Il refuse cet ordre et souhaite continuer sa mission première, celle qui se réfère au tout premier épisode de la série. De retour à son époque présente, le médecin découvre qu’en quelques minutes, son cerveau a enregistré plus de deux jours de souvenirs. Ce qui semble corroborer la réalité de ces déplacements inexplicables dans le temps. Toutefois ces différents voyages dans le temps dénotent une réalité alternative qui ne s’est pas produite par rapport à son époque actuelle.

Malgré des ordres qui paraissent incohérents, l’équipage suit ses intuitions et ses ordres. C’est dans l’époque future, qu’il aura le plus de difficulté à convaincre ses amis pour qu’ils l’emmènent vers la zone de l’univers où se trouve l’anomalie spatiale. Dans le futur, elle ne semble pas exister à priori, ce qui n’arrange rien à ses affaires. Heureusement que ces amis, tous anciens membres de son équipage, le suivent car ils savent que des situations hors normes peuvent exister en dépit des apparences qui affirment le contraire. Picard finit par comprendre que derrière ces divers allers-retours, un seul être peut en être responsable : Q.

Seconde étape

Le première étape de l’initiation de Picard semble être finie. Il a réussi à analysé la situation qui se déroule dans trois époques différentes. Toutes convergent vers une zone de l’univers où une anomalie spatiale inconnue est apparue. Malgré les apparences confuses, il comprend que Q se cache derrière ces différents voyages. Il invoque Q. Et se retrouve dans le même tribunal que le premier épisode de la série. Il lui demande ce qu’il se passe.

Q lui répond qu’il n’est pas là pour combler les zones d’ombres en reliant les point a, b et c. Il lui propose de répondre à 10 questions par « oui » ou « non ». Il apprendra qu’il existe un lien entre ses voyages dans le temps, que les Romuliens ne sont pas la cause de cette anomalie spatiale ni le continuum Q. A sa grande surprise, Picard apprend que la cause de la disparition de l’humanité et la présence de l’anomalie spatiale sont de son fait et de personne d’autre.

Picard et son équipage sont confrontés à un problème qu’ils ne peuvent résoudre simplement et devant lequel ils se sentent désemparés. Il représente un nœud gordien à résoudre dans trois époques différentes dont l’issue annoncée est la disparition de l’humanité s’ils ne changent rien mais comment ? Picard sait qu’il s’agit de quelque chose de plus sérieux que d’habitude et que ce n’est pas un des nouveaux de jeu de Q. Data lui rappelle que Q considère Picard un peu comme son élève.

De retour dans son futur, il décide d’aller vers cette anomalie spatiale. Dans son passé, il fait de même. Ces ordres, en train de changer constamment, perturbent l’équipage de son passé. A ce propos la psychologue du vaisseau le prévient de son comportement déroutant. Il se retrouve dans une position difficile. Il sait des choses qu’il ne peut expliquer ainsi que leur but final. Bref, il se retrouve dans la position de Q qui, par ses capacités extraordinaires, peut voir des faits au-delà de leur situation présente pour une époque. Ce qui oblige Picard à agir en prenant compte l’ensemble des périodes temporelles qu’il vit quasi au même instant mais aussi d’aller au-delà du simple déterminisme lié à chaque période de l’histoire, suggéré ici par la présence Romulienne et le risque d’une guerre. Si Picard n’est pas capable de voir au-delà des propres déterminismes de l’histoire, il court à la perte de l’humanité. L’effort que lui demande Q est donc bien plus important que ces propres capacités de perception humaines pour aller au-delà des déterminismes de l’histoire et de sa propre compréhension des lois qui gouvernent ces déterminismes. S’il est capable de saisir cela alors il sera capable d’entrevoir le mode de perception du continuum Q.

Troisième étape

Il s’aperçoit que l’anomalie est différente dans chaque période temporelle. Énorme dans le passé, moyenne dans le présent, impossible à détecter dans le futur. Ce qui cause une nouvelle mise en doute de l’équipage qui le suit. Son ancienne femme lui rappelle qu’il est sujet au syndrome irumodic et que tout ce qu’il avance peut n’exister que dans sa tête. Une fois de plus il doute lui aussi mais Q apparaît à nouveau et lui donne de nouveaux indices tout en lui rappelant que c’est bien lui qui est la cause de la disparition de l’humanité. Il lui demande comment. Q ne lui répond pas directement mais le renvoie dans le passé.

Il ordonne d’analyser cette anomalie à l’aide d’un rayon de tachyons. L’analyse révèle que cette anomalie spatiale est une forme d’anti-temps similaire à la notion d’anti-matière. Par sa présence elle modifie l’ordre de l’univers et peur en changer son cours. Les premiers effets se font ressentir lorsque des personnes blessées ou ayant des lésions plus profondes voient leur ADN se régénérer dans un état normal. Dans le futur la situation est plus embrouillée. Le vaisseau est attaqué mais sauvé par l’Entreprise. Picard est de moins en moins écouté, sa parole est mise en doute malgré ses avertissements. Le médecin lui administre un calmant et se retrouve dans son temps présent.

L’anomalie temporelle modifie la capacité des cellules biologiques à évoluer dans le temps. Elles involuent et retournent à un état plus primitif. Picard ne sait plus quoi faire. Q apparaît et lui propose de voir le problème sous un autre angle. Il l’emmène sur la terre mais à une époque passée lointaine où un soupe primitive d’acides aminés va donner naissance à la vie sauf que cette combinaison ne va pas se faire. Q lui montre que l’anomalie a continué son inversion temporelle en couvrant un bonne partie de la galaxie. Celle-ci empêche désormais la formation des briques de la vie. Q rappelle que Picard est la cause de cette anomalie même s’il ne sait pas encore comment il peut en être la cause.

Quatrième étape

Picard souhaite analyser le cœur de cette anomalie. N’ayant pas les moyens techniques de le faire dans le passé. Il se retrouve dans le présent. Il demande la même analyse. Cette dernière montre l’existence de trois rayons tachyons qui viennent de trois vaisseaux Entreprise. Picard comprend que ces trois vaisseaux se situent dans trois époques différences, que les trois rayons convergent dans la même zone spatiale. Il se trouve, à nouveau dans le futur, trouve l’équipage et il leur explique sa théorie. D’abord réfutée, elle est soutenue comme hypothèse probable par Data. Cette convergence des trois rayons créée une fissure dans le continuum spatio-temporel de l’univers générant une anomalie d’anti-temps qui, née dans le futur, évolue non pas vers le futur mais vers le passé et se trouvera être la cause de la non formation des bases de la vie sur terre. La flèche du temps est inversée.

Data finira par trouver une solution de séparation entre temps et anti-temps par la création d’un bouclier sauf que les trois vaisseaux doivent agir dans les trois périodes temporelles. Ayant accepté l’aide de Q, il voyage plus facilement dans le temps sans aucun problème. Toutefois l’équipage du passé, celui où il débute comme commandant, est totalement dérouté par ses ordres qu’il ne souhaite pas suivre sans un minimum d’explications. Il ne peut leur donner des explications. Il leur demande simplement de le croire, un instant et de lui faire confiance. Ce qu’ils font. Que la question de la foi en lui intervienne à ce moment précis montre que nous n’avons aucune arme intellectuelle face à des comportements supposés incohérents. Tout le long de cet épisode la question de la folie du capitaine est sous-entendue, du point de vue de l’équipage, et comme il ne peut pas donner les mêmes explications aux mêmes époques, il est obligé de passer par la notion de foi. Quand le rationnel ne peut désigner le réel alors c’est à l’irrationnel d’intervenir pour créer le lien qui manque entre ces ordres incohérents.

Les trois vaisseaux entrent dans l’anomalie, se rejoignent et explosent un par un. Q apparaît et dit à Picard : « Toutes les bonnes choses ont une fin. »

Cinquième étape

Picard se retrouve avec Q. Ce dernier lui fait comprendre que le continuum Q ne pensait pas qu’il réussirait mais Q a toujours eu confiance en lui. Picard demande des nouvelles de son vaisseau, de son équipage, de l’anomalie. Q est dépité par ses questions, il lui demande de voir plus loin, de penser à l’humanité qu’il vient de sauver une nouvelle fois.

Il lui explique que s’il avait la capacité de voire plus loin, au lieu de simplement classer les étoiles et d’étudier de nouveaux systèmes stellaires, s’il conservait cette capacité de voir beaucoup plus loin, comme cette fraction de seconde où il réalisa ce qu’il se produisait en comprenant le paradoxe temporel de l’anomalie alors il pourrait aller au-delà de bien des trivialités de son monde et peut-être rejoindre le continuum Q en s’ouvrant aux possibilités inconnues de l’existence.

Picard n’a pas encore compris ce qu’il voulait lui dire. Il demande une explication à Q ; il ne la lui donne pas. Il lui laisse le soin de la trouver par lui-même mais Q sera toujours là, l’observera et le guidera en temps voulu.

Finalement Picard réapparaît dans la scène initiale, demande la date. Il explique son aventure. L’anomalie n’existe pas. Il vient pourtant de modifier le cours du temps en sauvant l’humanité. Une nouvelle bifurcation est prise.

La question du temps

Dans ces épisodes finaux de star trek, le temps est compris comme un déterminisme dans lequel rien ne peut être changé sauf si des événements inattendus sont impulsés à l’intérieur de ce dernier lesquels modifient, à leurs tours, les enchaînements des causes et des effets sans pour autant changer la flèche du temps. La démonstration de Q et l’erreur de Picard iront beaucoup plus loin. L’inattendu comme l’imprévu peuvent être la cause de paradoxes insurmontables à l’instar de cette anomalie générée par erreur dans le futur laquelle ouvre une fissure d’anti-temps et s’étend jusqu’au passé lointain de la terre où la possibilité de la vie ne sera plus possible. En conséquence, le temps est un déterminisme qui ne peut être modifié sans provoquer des effets réversibles et dangereux si on touche au temps lui-même ; toutefois ce qui se produit à l’intérieur du temps n’est pas soumis aux mêmes lois et l’introduction de l’inattendu peut modifier les événements qui arrivent. Telle est la leçon que compte faire entendre Q à Picard.

L’initiation de Picard se construit en plusieurs étapes. Elles vont le mener vers une compréhension des événements beaucoup plus vaste. Au départ les événements sont de simples faits que l’on peut analyser rationnellement mais l’imprévu ne peut l’être ou, tout au moins, nous essayons de l’inclure dans une chaîne de causes et d’effets explicables. Les différents doutes exprimés par l’équipage envers Picard qui veulent donner une raison à ses agissements incohérents en apparence. Or c’est sur point que va porter l’initiation de Picard, lui faire quitter le déterminisme de la chaîne des causes et des effets en le faisant voyager dans le temps, en lui montrant différents points de vue selon les époques. Il quitte l’ordre logique des causes et des effets pour connaître simultanément des événements qui convergent tous vers un point de l’espace précis.

Il commence à comprendre que Q lui demande d’aller au-delà de la simple observation rationnelle du déterminisme des événements qui se produisent selon une explication logique (d’un point A à un point B) dans un temps donné. Il existe une autre possibilité qu’il entrevoit sauf qu’il ne peut l’expliquer rationnellement à ceux, celles qui ne vivent pas ce qu’il vit et seraient incapables d’en saisir une compréhension fine. A chaque étape franchie de son initiation, son équipage, ses amis doutent de plus en plus de lui. Dans le passé, il fera appel à la croyance même si ces ordres paraissent incohérents ; dans le présent il discutera de la situation comme une énigme à résoudre même si un doute subsiste ; dans le futur il mettra en jeu les liens d’amitié qui unissent son équipage parce qu’ils pensent qu’il est devenu fou à cause du syndrome irumodic. Il ne lui reste que ces liens d’amitié comme point d’appui.

Les possibles hostilités avec les Romuliens (le passé et le présent), les Klingons (le futur) deviennent des plans secondaires qu’il se doit de dépasser comme les conflits avec son équipage. Il n’agit plus dans un temps mais sur trois périodes de temps à la fois. De ce fait il change totalement de perception et embrasse brièvement la perception des Q et de leur univers.

C’est ce que Q lui fera découvrir : il existe des possibilités infinies dans le temps sans modifier le temps lui-même. Il suffit de quitter les déterminismes qui nous gouvernent et que nous mettons en place malgré nous pour y introduire de l’inattendu, de l’imprévu susceptible de modifier le cours des événements à l’intérieur de la flèche du temps. C’est cette possibilité-là que Q a donné à vivre à Picard par le biais d’une expérience qui va au-delà de tout ce qu’il peut imaginer.

En regardant d’un peu plus bas, cet épisode final est une ode à une certaine forme de la liberté. Pour être libre, il faut savoir quitter les événements qui nous déterminent, qui influencent notre vie, nos comportements et accepter l’imprévu, l’inattendu qui peut surgir comme un élément capable de modifier le sens, la direction de ce que nous vivons. Il faut aussi savoir dépasser les simples trivialités, ruses de la raison qui contribuent à faire des événements que nous vivons des déterminismes. Même si l’histoire existe, elle n’est pas pour autant écrite d’avance par des faits, un monde, une société qui nous dépassent et dont nous ne serions, à jamais, que les spectateurs impuissants. Nous avons notre rôle à jouer aussi modeste soit-il.

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