Se déplacer dans le temps : « La machine à explorer le temps »

L’histoire

Un scientifique vivant à l’époque Victorienne fabrique une machine à voyager dans le temps. Il souhaite, espère trouver une société utopique, sans le motif de la guerre, mais il ne la trouvera pas malgré son voyage dans un temps très lointain. La pseudo société utopique qu’il découvre quelque 800 000 ans plus tard n’est rien d’autre qu’un cauchemar qui ne dit pas son nom. Il s’aperçoit alors que la race humaine s’est divisée en deux espèces, une vivant à la surface, et l’autre sous terre. Quand sa machine est volée par le peuple souterrain cannibale, il doit risquer sa vie pour retourner dans son époque. Il y parvient. Il raconte cette histoire à ces amis qui ont du mal à le croire. Pourtant il repartira vers le futur avec trois livres afin d’éduquer ce peuple perdu dans un futur lointain.

Le temps, une nouvelle dimension

Le héros, Henry George Wells, explique à ses amis que le temps est une quatrième dimension. S’il est possible de voyager dans l’espace par le mouvement. Il doit être possible de se déplacer dans le temps. Le temps est une dimension aussi réelle que les trois autres et ne peut en être séparé. Elle nous « emprisonne » parce que nous ne pouvons pas nous deplacer dedans à l’instar des trois autres dimensions. Une machine qui se déplacerait dans le temps impliquerait de rester dans le même espace et on peut alors voir l’évolution du temps qui agit sur l’espace à partir de ce même point de vue lequel devient extérieur au temps du monde. Les espaces humain, naturel changent, se modifient avec le temps pour le voyageur qui reste au même endroit mais pas dans le même temps. Pour Wells, c’est la base de son argumentation : le temps modifie l’espace compris comme environnement.

Il faut déduire que le temps, à partir du point de vue où l’on se place, un point fixe selon le filmde Pal, ne se déploie pas de la même manière suivant où l’on se trouve par rapport à ce point fixe. Même si la notion est difficile à aborder, cette machine à explorer le temps crée une bulle a-temporelle en se soustrayant du temps normal et logique du monde pour pouvoir se déplacer allègrement dans le temps de notre monde. Le temps à l’intérieur de cette bulle a-temporelle généré par la machine préserve le voyageur des modifications de l’espace puisque ce dernier se déplace dans le temps sans se mouvoir dans l’espace.

D’une certaine manière il se déplace bien dans un espace qui se modifie mais sous une forme désynchronisée avec celui-ci.

Ses amis sont très sceptiques devant ces affirmations et croient à une blague de scientifique le jour de cette veille de la nouvelle année (l’action se situe sur le changement de siècle, de1899 à 1900). H.G. Wells leur montrera que ce déplacement dans le temps est réellement possible avec une réplique miniature de sa machine à explorer le temps. Il prend un cigare, le place dans la machine, l’active et l’envoie quelque part dans le futur. La machine disparaît devant leurs yeux ébahis.

Où est-elle passé ? H.G. Wells leur explique qu’elle n’a pas disparu, qu’elle est toujours au même endroit mais dans une époque différente. Ses amis restent malgré toutes ces preuves suspicieux. Ils le quittent, lui conseillent de se reposer et de passer un bon réveillon de nouvel an.

Durant ces discussions houleuses partagées entre la fascination et la moquerie, deux positions métaphysiques vont être mises en évidences. Pour ses amis, que le temps soit futur ou passé, il est déjà inscrit et ne peut être changé. Pour H.G. Wells la raison de l’existence de cette machine est la quête d’une réponse portée par ces questions : est-ce que l’homme peut contrôler sa destiné et la changer ? Nous verrons, plus loin, que ces questions sont à la racine de son interventionisme forcené. Pour lui, malgré ce questionnement, la réponse est certaine ; du moins elle le deviendra en prenant conscience du caractère pessimiste de l’avenir de l’humanité.

Les temps futurs ne sont pas heureux

H.G. Wells est décidé à quitter ce monde à cause des guerres nourries par l’homme et la technologie, il espère trouver de meilleurs auspices dans le futur. Il ne rencontrera que des guerres (les deux premières guerres mondiales) puis une fictive placée dans les années 60 qui marquera la fin de l’épopée humaine. Une guerre nucléaire qui transformera la terre. De l’endroit où il se trouve avec sa machine, la serre de sa maison, d’abord abandonnée (années 1910-20) puis remplacée par un parc public (années 1960), ce lieu est recouvert de lave durant sa dernièreet malheureuse excursion dans le temps de l’histoire du monde. Il se retrouve ainsi bloqué dans une montagne pendant plusieurs milliers d’années.

Au bout de 800 000 ans, la grotte disparaît. La nature s’est complètement régénérée. Il peut enfin voir un monde sans guerre, sans ce cauchemar humain. Pourtant il doute, peut-être n’y a-t-il plus d’humains ? Il découvre une sorte de société utopique qui semble répondre à son désir ; société sans lois, sans état, sans hiérarchie. Pourtant il y a quelque chose d’étrange. Les habitants de ce monde se conduisent d’une manière totalement étrange.

Il finira par découvrir que la race humaine s’est divisée en deux. Une est restée à la surface de la terre, l’autre s’est enterrée et a muté pour n’être plus qu’un ersatz d’humanité. Toutefois les humains restés à la surface sont, eux aussi, un ersatz d’humanité. Ils se révèlent être le bétail des « Morlocks » qui les élèvent, les nourrissent, les habillent et les parquent dehors en attendant d’être dévorés par eux.

La machine à explorer le temps de l’homme

Avant de continuer plus loin dans l’histoire il faut revenir sur des moments clefs de celle-ci qui vont servir d’explications au déroulement de l’histoire et à la résolution de certains points précis. Du fait de sa position anti-militariste et de ce désir d’une société sans guerres nous pourrions nous attendre à d’autres comportements progressistes de la part de Wells. Or ce n’est pas du tout le cas, tout le long du film la place de l’homme et de la femme sont déterminés une bonne fois pour toutes selon les schémas sociaux Victoriens.

La société Victorienne est une société d’hommes où la femme joue un rôle second, effacé, domestique. Ouvrière en tenue, elle est toujours souriante, prête à aider les hommes, à les servir, à s’occuper des tâches rébarbatives pendant qu’ils sirrotent un apéritif dans un salon en se demandant bien ce que ce bon H.G. Wells est en train de fabriquer. Ils passent à table, la femme est prête à servir le repas, toujours souriante alors qu’ils s’inquiètent de leur ami qui tarde à arriver.

La femme est dans son rôle de ménagère souriante sans autre forme utile que celle propre à sa condition féminine, toujours seule, serviable qui se tait et est là que pour obéir aux injonctions de l’homme afin de le soutenir et de lui faire plaisir. Elle est d’ailleurs au second plan alors que les hommes, eux, sont ensemble, au premier plan, débattent de questions passionantes sur le temps. Ce n’est pas un sujet intéressant pour les femmes, bien entendu.

En explorant le futur dans sa machine et ayant devant lui, de l’autre côté de la rue, une boutique de vêtements féminins, H.G. Wells est dans le rêve de toute société patriarcale : la femme objet, incarnée par le mannequin qui change tout le temps d’habits pour le regard voyeur de l’homme. La femme n’est rien d’autre qu’un objet de désir.

Dans le futur lointain, son rôle n’est pas mieux loti. Elle se noie sans savoir bien nager, risque de se brûler la main en la mettant au feu, risque sa vie, ne réfléchit pas, ne lit pas, ne se pose pas de questions, elle est fragile, et, est un peu idiote quand même cette femme du futur ; elle ne comprend même pas le sens de ce qui est expliqué dans des enregistrements historiques !

Heureusement que l’homme du passé, celui de la période Victorienne, va lui montrer ce qu’est un homme, un vrai en la sauvant de la noyade, en la protégeant contre son étourderie, en l’empêchant de se brûler la main, en l’initiant à la pensée, la réflexion, l’histoire, en la sauvant des terribles « Morlocks », elle et sa tribu. Bref, elle ne pourra qu’acquiescer face à autant de preuves cumulées de la virilité de l’homme et de sa place primordiale dans toute société, et, elle tombera amoureuse de l’homme et de son image qu’il transmet : l’homme est là pour la protéger et la sauver. En échange elle lui donnera son amour en le servant. Pourtant cette place du père symbolique n’est pas du tout acquise dès le départ, un étrange équilibre règne qui déroute notre héros Victorien.

Un étrange équilibre

Du point de vue des habitants de cette société utopique, les « Eloi », tout n’est pas si sombre. Ils vivent heureux, d’une manière presque innocente, n’ont pas de connaissances propres hormis la jouissance du moment présent. Nourris, logés, élevés par les « Morlocks » ils ne connaissent pas leur vrai destin (être mangés par eux). Tout ce qu’ils savent, c’est qu’il y a des « appelés » qui vont de temps en temps dans le monde souterrain sans jamais revenir. Cela ressemble beaucoup à une forme de sélection naturelle. Un équilibre semble avoir été trouvé où il n’y a ni ordre, ni hiérarchie, ni loi, ni gouvernement.

La scène où l’esprit de l’homme Victorien, incarné par Wells, sauve de la noyade Weena est ponctuée par le fait qu’aucun des membres de cette société utopique n’intervient pour l’aider, la sauver. Ce qui provoque l’étonnement, l’écoeurement d’H.G. Wells. A y regarder de plus près, ne pas intervenir pendant cette noyade est peut-être une meilleure fin que de disparaître dans les mondes souterrains des « Morlocks » si nous nous plaçons du point de vue des « Eloi ».

La fin de cette scène clef est aussi surprenante pour H.G. Wells. Il attend de la reconnaissance de la part de Weena et des autrespour avoir été le sauveur mais ceux-ci le quittent brusqument sans même le remercier ni s’occuper de son sort. Il est dépité, ne comprend pas ce qu’il se passe et va commencer à enquêter sur la nature réelle de ce monde.

Ce qu’il découvre est l’étrange vérité du 20ème siècle. Il ne peut y avoir de société libre, utopique sans qu’il y ait quelque chose de terrible derrière. Dans ce film, une régression humaine, mutante qui se nourrit d’autres humains. C’est alors qu’il décide de combattre ce monde et il explique, en bon pédagogue de la preuve, ce qu’est un homme, un vrai (un père, pasteur, protecteur, sachant prendre des risques et les bonnes décisions, se battant jusqu’à la mort pour la liberté, s’il le faut pour sauver les plus faibles et leur faire quitter le stade de l’innocence). Il devient le père symbolique du peuple « Eloi » qui, à ce propose, ne connaît ni personnes âgées ni parents.

Le monde qui dévore tout

Les « Morlocks » ont conservé les pires côtés de l’industrie, de la technologie et de l’humanité. Tout n’existe que pour leur propre appétit, jouissance qui dévore tout allant jusqu’à l’inhumanité même qui en est la conclusion logique : la cannibalisme. Les machines n’existent que dans leur monde comme la sauvagerie et la barbarie. Pourtant il se terrent, vivent dans des souterrains et la lumière les aveugle. Ils ne peuvent qu’agir dans l’ombre, devenus eux-mêmes l’incarnation de l’infâmie humaine qui ne peut vivre que cachée, honteuse d’elle-même et de sa violence propre.

Wells, connaissant l’origine de ces choix et prenant conscience de l’enjeu de cette séparation symbolique qui s’est réellement jouée au cours de la sordide histoire de l’humanité va tout faire pour que ces mauvais penchants humains soient combattus et qu’ils disparaissent. La condition de réussite d’une utopie ne peut être valable que si l’humain fait disparaître ses pires penchants (autre antienne propre au 20ème siècle) mais peut-on vraiment le faire quand on connaît l’inconscient ? C’est peut-être pour cela que l’action se situe dans une époque charnière qui ne connaît pas encore bien les avancées de Freud dans le domaine de la compréhension du temps l’inconscient.

La question du temps

Dans ce film le temps est une dimension à part entière, indissociable des trois autres dimensions dans laquelle il n’est pas possible de s’y déplacer. Pour se mouvoir dedans comme dans l’espace il faut créer une machine qui fabrique sa propre dimension a-temporelle afin de pouvoir se déplacer dans le temps d’un espace précis de manière plus ou moins rapide. Puisque le temps modifie l’espace, ce qui sera expliqué visuellement et narrativement de nombreuses fois, un même espace doit pouvoir modifier le temps en conséquence. C’est la raison d’être de la machine à explorer le temps qui ne change jamais d’espace mais sait modifier le temps. Ne pas se mouvoir dans un espace pour se mouvoir dans le temps.

La machine à explorer le temps devient presque aussi évidente que n’importe quel engin qui déplace une masse dans l’espace à l’aide d’un moteur. Il lui faut un moteur dont le mouvement est dans le temps non pas dans l’espace. Rien n’est dit sur le fonctionnement de ce moteur dans le film même si les grands principes nous indiquent le chemin à suivre.

Une fois le problème technique résolu surgit un nouveau questionnement métaphysique : est-il possible de modifier la destiné humaine ? Les différentes guerres que traverse l’explorateur jusqu’à l’ultime, celle qui fait pousser des champignons partout, indique une destinée impossible à changer tant que l’homme est gouverné par les conflits et les aggravent avec la technologie. Des milliers d’années plus tard, l’humanité n’est plus qu’un souvenir lointain, livres en poussières, quelques enregistrements fragmentaires et épars parlant toujours de guerres, de pollutions, de séparation de l’espèce humaine en deux groupes.

C’est ici que les réponses d’H.G. Wells vont se fixer dans son esprit en désirant modifier ce chemin mortifère pris par l’humanité ancienne et dont il ressent une responsabilité presque coupable pour cette humanité du futur perdue (puisque le temps d’où il vient est à l’origine de cette transformation complète de la terre et de sa civilisation). Son but sera de sauver la bonne humanité (celle de l’utopie, de l’innocence, de la joie de vivre et du moment présent sans technologie, ni loi, ni gouvernement qui vit sur terre) et de faire disparaître la mauvaise (celle de la guerre, des machines, de la mutation, de la violence, de l’esclavagisme, du cannibalisme qui vit sous terre).

Il ne reste plus qu’à Wells d’incarner le rôle du bon père, du pasteur. Mais a-t-il un autre choix que celui-ci puisqu’il a été éduqué dans la société Victorienne ? Ses actes héroïques et patriarcaux reflètent son conditionnement social et son incapacité à aller au-delà mais comment agir différemment quand tout a été perdu face à un monde qui n’est plus que l’ombre de lui-même, et, surtout quand Wells est dépendant de sa propre aliénation ?

La véritable intrigue de ce film est peut-être dans ce questionnement : la science peut permettre des choses incroyables mais elle ne nous délivre pas d’aliénations sociales plus subtiles à laquelle elle ne peut répondre. D’ailleurs en revenant brièvement dans le passé pour repartir vers le futur, il prend avec lui trois livres dont le film tait les titres. A t-il pris conscience de sa propre aliénation ou jouera-t-il jusqu’au bout ce rôle quasi biblique, imposé par la structure sociale de son époque ?

La machine à explorer le temps, Film réalisé par George Pal, 1960