image d'illustration

Stabiliser une forme

Sable stable

Suite du texte : l’espace d’une forme

Recettes : fictions du support et du système

Recette : Ajouter une temporalité notée t dans le «sable» afin de le rendre «stable».

Je tourne un sablier. J’observe le sable s’écouler. Je découpe plusieurs tranches de cet écoulement. En observant une d’elles, je vois les grains de sable distribués d’une manière aléatoire sur le support de celles-ci. Il n’y a pas de mouvement. Mais je remarque que sur plusieurs tranches le grains de sable ne se sont pas distribués de la même manière. C’est en les assemblant, une à une, que j’observe un mouvement, celui de la distribution aléatoire du sable. Je peux, en conséquence, calculer les coordonnées de chaque grain de sable pour chacune d’elles et en déduire la nature de ce mouvement. En effectuant plusieurs fois l’opération et en supposant que je ne connaisse pas la forme du sablier, je peux déduire qu’il existe une contrainte «invisible» laquelle oblige le sable à s’organiser selon les propriétés mêmes liées à cette contrainte. Je peux, ainsi, remonter jusqu’à la forme de l’objet «sablier» qui est à l’origine de cette même contrainte. Autrement dit, je peux trouver comment la contrainte modifie la distribution aléatoire des grains de sable d’après sa forme géométrique même. J’établis que le sablier et le sable forment un système spécifique dont je peux construire le mécanisme, la recette.

Maintenant, j’imagine qu’il n’y a plus de contrainte, le sable s’écoule librement sans ne rien rencontrer. Il n’y a plus de sablier. Comme le dit si bien l’adage : «Mauvaise nouvelle, les grains de sable sont en train de tomber. Bonne nouvelle, il n’y a pas de fond.» La forme que prendra son étalement m’est inconnue. Je peux dire que sa distribution obéit à un système, mais je suis incapable d’affirmer comment fonctionne ce système. En observant les tranches, je conclus toujours que les grains de sable se distribuent d’une manière aléatoire. Mais je conviens que le sable «a développé» une organisation qui lui est propre lui conférant certes une «forme géométrique» à l’instar du sablier sauf qu’elle n’est pas une forme, elle est une géométrie sans forme. La contrainte n’est plus exercée par une «force», une «forme» extérieure, mais par la relation de distribution entre chaque grain. Cette géométrie occupe tout l’espace que les grains de sable prennent en même temps qu’ils développent, selon une temporalité qui leur est propre, une distribution spécifique.

Si je veux écrire la recette de tout cela alors je me dois de devenir, moi-même, un grain de sable.

temporalités des formes

Une chose est à l’intérieur du temps comme elle est, aussi, son extérieur. Elle est une forme qui génère son propre support, ce qui se formule, afin de nouer le mouvement à une durée. Mouvement et durée se recueillent en une temporalité, nouvel horizon à égale distance d’une chose. L’être d’une chose est un corps en relation avec une temporalité. Ce qui lui permet de durer et d’apparaître comme stabilisé d’où sa transformation en corps (le grain de sable si vous voulez).

Le croisement de l’horizon et de la temporalité donne un premier signal au corps lui indiquant que ce qui dure n’est ni le temps ni l’horizon ni l’espace, mais quelque chose qui se situe entre ces différents états. Cette stabilité est à l’intérieur du corps lequel enrobe l’élément de perception qui pourra éventuellement devenir élément de compréhension. Le corps exprime ce qui ne pourrait être perçu autrement. La perception est à la surface de ce dernier. De ce lieu perçu, le corps ressemble à une chose. Une réflexion prend forme en une direction d’équivalence où s’accroche le sens. Percevoir, c’est commencer à saisir, à englober ce qui est séparé, à donner sens à toutes ces choses bizarres et étranges : le temps, l’espace, le volume, le corps, etc.

La stabilité s’enfouit à l’intérieur du corps : elle est semblable à toutes ces choses qui sont, et, par conséquent, elle en exprime une certaine équivalence qui peut offrir une identité, quelque chose qui s’égalise. Lorsque la stabilité s’égalise aux autres choses par le biais de la temporalité alors elle peut s’extérioriser, donner au corps son observation par sa réflexion.

Nourriture de l’extérieur, le corps réfléchit son intériorité tel un changement d’état, un mouvement subtil qui se perçoit mal, peut-être invisible, et, pourtant présent. Décelable en surface, ce fluide devenu stable par l’entremise de la temporalité ne serait-il pas l’expression cachée de quelque chose d’autre ?

Cette stabilité doit son invisibilité par une chose en surface présente, absente en son intérieur. Il ne reste plus qu’à l’être d’une chose de scruter cette chose du dehors, de creuser la surface afin de rencontrer les traces de ce passage entre ce qui s’écoule et ce qui se stabilise. De cette rencontre naît une chose qui se contracte en horizon sur lequel est dessiné l’élément de perception qui peut se prendre pour qui sait le voir. Elle exprime simplement ce qui s’imprime à la surface de son corps. De cette expression naît tout ce qui est, et, l’être humain a cru comprendre.

Dans l’horizon se joignent temporalité et espace : naissance de l’événement où s’écoulent toutes les choses : jonctions parmi une infinité de formes pour devenir une chose finie. L’être s’approche des choses qui sont pour s’éloigner d’une chose, mais il s’avance vers une chose pour s’éloigner des choses qui sont. En ce sens l’horizon n’existe pas vraiment comme objet, il persiste telle une frontière stable, séparé de lui-même pour devenir autre chose. Conscient de cette apparence persistante, l’être essaie de le rejoindre par ses subdivisions qui se distinguent, variations de l’horizon.

La variation est la chaîne des relations aléatoires qui se combinent entre elles de telle sorte que lorsqu’une combinaison se stabilise elle apparaît comme une chose cohérente. Elle est ce qui préfigure le modèle, le prototype, le produit de multiples séquences variables qui s’organisent en parties distinctes pouvant développer des processus d’auto-régulation propres afin de devenir une perception au sein d’un milieu d’échange. Et une recette peut désormais s’écrire.

Les parties sont des choses qui tendent vers l’horizon. Tendre vers l’horizon, c’est étendre l’embryon de connaissance qui se maintient en lui-même comme une chose stable afin d’être déjà présent dans les choses qui sont selon la temporalité. Par ce chemin est choisi une direction entre extériorité qui se construit tel une surface et une intériorité stabilisée afin de réaliser la frontière de l’horizon comme élément de perception et de compréhension possible.

L’intériorité constitue la stabilité d’une surface extérieure en propriétés d’un corps qui change son état en objet situé dans l’espace et le temps. Stabilité et surface ne peuvent se résorber en un horizon, mais en parties frontalières de celui-ci. L’être d’une chose et l’être vivant l’expriment conjointement par «ce qui est», mais chacun de leurs points de vues. «Ce qui est» prend la forme d’une frontière de leur horizon réciproque. Ils symbolisent par cet «horizon» une autre chose qui n’est pas encore une équivalence, une réciprocité.