Nam Shub, système

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La production d’un système de sens

Présentation

Le terme «système» tel qu’on le connaît aujourd’hui et tel qu’il est vendu n’est jamais rien d’autre qu’un produit qui est ressassé, revendu à qui veut bien l’entendre. Il sert, le plus souvent, de point d’appui à la destructuration du langage qui s’immisce au travers de ce «système» tel une barrière infranchissable dont les clés sont subitement perdues. Le monde tel qu’il est n’est plus ce qu’il est, n’est plus compréhensible sans cette expression qui sert le fondement de sa propre fonction :

  1. L’existence d’un «système» vu comme un problème ne peut être fournie que par l’existence des personnes qui donnent «raison» à ce problème. C’est-à-dire : la manière dont l’être humain résout une perturbation lui permet de justifier le bien-fondé de sa formulation.
  2. Un problème existe réellement à partir du moment où un ensemble d’individus considère comme «vraie» la possibilité du problème en s’incluant dans celui-ci. Donc la réponse rudimentaire apportée est une réponse collective vérifiant individuellement l’existence des données du problème.
  3. L’ensemble des réponses données collectivement permet, en conséquence, de conférer un système d’élaboration propre à l’être humain dont une partie approuve de fait toutes les données du problème.
  4. Un tel processus signifie, à partir de faits rendus tangibles par une attitude collective considérant individuellement ce qu’est un problème, le développement d’un système ou mécanisme propice à la conviction par la double justification de la donnée individuelle et de la donnée collective en circonscrivant le sens autour d’une clôture.

Clôture du sens

J’utiliserai le signe graphique [système] afin d’indiquer la clôture du sens à laquelle il renvoie.

Toute personne vivant un temps soit peu en-dehors du milieu spécifique où des acceptions spécifiques du langage sont utilisées apprend assez rapidement qu’elle est victime d’une organisation résumée en un [système] et qu’il n’y a pas d’autres solutions que de le combattre puisque nous en sommes tous et toutes les victimes potentielles. Il suffit, grâce à une rhétorique bien huilée, d’expliquer, de révéler ce processus de victimisation et ainsi montrer en quoi il faut le combattre, le renverser pour que, enfin, nous puissions véritablement être maîtres de nous mêmes à nouveau et ne plus en être les victimes.

Cette clôture du sens ressemble beaucoup à la clôture installée dans un espace. La clôture est un élément courant et commun en ce sens qu’il définit un lieu qui se sépare d’un espace plus vaste. Il apparaît comme tel à partir du moment où d’autres espaces sont restés communs parfois communaux et à usages collectifs. Une clôture est presque quelque chose d’anodin, comme allant de soi dans notre monde. Elle a été forgée presque de toutes pièces.

Cette pratique est apparue un peu avant la période pré-industrielle au moyen-âge lorsque certains seigneurs ou de riches paysans ont décidé de fermer leur terrain, de le clôturer afin de faire fructifier leur production agricole pour leur seul compte. Les bouleversements qu’une telle conception emportent avec elle sont nombreux1, en voici quelques uns :

Ces nouvelles idées favorisent une conception spécifique de la propriété privée. Il a fallu avec ce nouveau concept de clôture définir de nombreuses propriétés d’attributions qui n’existaient pas auparavant ainsi que de nombreux textes législatifs qui s’ensuivirent afin de protéger cette nouvelle forme de la distribution des biens. On peut aussi comprendre en quoi ce nouveau concept était plus qu’intéressant, il permettait au paysan de devenir plus autonome vis à vis du seigneur pour lequel il était jusqu’alors entièrement soumis.

Cette fermeture des sols s’accompagne de développements technologiques agricoles importants lesquels améliorent les cultures, les rendements par le biais de nouvelles semences et de nouvelles techniques d’irrigations. Ce qui a pour conséquence d’améliorer la survie des ménages en partageant production réservée au marché et celle réservée à leur propre subsistance.

Distribution des clôtures et attachement des noms

La clôture se définit comme une distinction par rapport au reste de l’environnement, et, comme passage, porte, accès, entrée et sortie, séparation entre un monde et un autre, bribe de protection distributive qui définit une région frontalière sous la juridiction de sa signification.

Ce qui se ferme dans le réel s’attache aussi aux expressions utilisées : des noms devenus «propres» en fonction des besoins de la distribution qui se clôt sur elle-même en étant incapable d’aller au-delà de ce cloisonnement et forge alors des concepts de différentiation entre la distribution de ces mêmes espaces.

Il y a un passage secret (je le sais, on me l’a dit).

Une clôture n’existe que parce qu’elle se distingue du reste donc elle crée un passage d’usage, une frontière, une juridiction, un pouvoir, une distinction entre l’intérieur et l’extérieur et sa distribution en parts. Elle est un lieu, un endroit où l’espace devient celui de l’appartenance au vrai2. Ceux, celles qui sont à l’extérieur d’une clôture sont égaux tandis que ceux, celles qui en détiennent une ne souhaitent pas l’égalité puisqu’ils, elles sont ceux qui distribuent la distinction, la séparation, la frontière. Il en découle que tout passage d’un point à un autre peut être sujet à une modification, une transformation, une énigme voire à une interdiction à laquelle celui, celle qui veut passer doit se soumettre.

De même c’est par le désir d’étendre cette distinction vers l’extérieur que naissent la plupart des conflits, la plupart des conquêtes. Le phénomène de l’expansion de la distinction comme volonté est vécue par tous ceux, celles qui sont en-dehors de cette séparation clôturée comme l’expression d’une domination. Pouvoir atteindre indéfiniment les limites de l’autre et l’inclure dans le domaine intérieur de la frontière où, à nouveau, il n’existe plus de distinctions à priori.

Un tel [système]e] pris dans son essence ne cesse d’inventer de nouvelles distinctions, de nouvelles frontières en réduisant toute communauté à son élément le plus simple, l’individu, tout en exprimant un désir global : il ne peut exister de notion particulière qui est ou serait séparée distinctement du reste des distributions espacées ne participant pas au principe de l’échange des noms attribués à ces mêmes clôtures.

Pour rendre l’individu propre à un lieu, il faut fermer ce dernier, le clôturer pour le sécuriser et ouvrir un espace du vrai. Et avoir peur quand il est ouvert par le biais de portes et fenêtres. Elles sont les frontières qui délimitent les règles de chaque côté du monde. Faire entrer ceux, celles qui ont été autorisé.e.s par lois et décrets explicites et/ou implicites qui se rattachent aux sens des noms attribués susceptibles de valider la véracité de l’espace du vrai.

Le rôle de la porte

La porte est l’endroit où se crée l’état du lieu, son espace approprié en noyau embryonnaire. Les règles qui déterminent l’identité forgent les choses nommées, elles filtrent ce qu’il se passe avec le sens ! Elles cloisonnent le manque de véracité des espaces et ouvrent la signification à d’autres possibilités, à d’autres relations d’attachement.

Porte, ouvrir, fermer, dehors, dedans, passer : autant de concepts qui attachent notre conception de la vie et du monde aux noms qui les déterminent comme un sens.

Croiser des êtres humains sans noms dans les terres désolées autour de la clôture

L’accès est ce qui permet d’entrer, de traverser ou de sortir, et, comme tous les autres, il nous condamne par le sens donné à la signification de l’action qu’il suggère. Cette distribution d’espaces renseignés par des noms, lieux qui disent quelque chose, se fixe au sens tel un signal qui indique que la terre des significations n’est plus désolée. La même fonction est attribuée à l’être humain auquel lui sera donné, à son tour, un nom et un prénom comme signes de son propre espace. Un nom pour l’attacher à l’histoire de sa famille, un prénom pour le distinguer dans l’histoire de cette famille. Entre ces deux entités des lieux de passages vont s’entrecroiser qu’ils soient communs ou privés. Ils exprimeront des échanges, des points d’arrêts, une continuation, etc.

Nées du plus pur hasard, ces entités auxquelles sont alloués des espaces, sont prises dans les filets de la détermination. Les voilà entremêlées par le sens auxquelles elles doivent allégeance au [système] qui s’attache à elles comme le sens se cramponne au nom. Et ce dernier l’agrippe, à son tour, à des espaces plus vastes qui l’englobe. Le mécanisme d’un tel [système] livre une fin comme un début. Ils sont ainsi clos, fermés sans que ni l’un ni l’autre ne puisse en réchapper.

L’unique liberté de l’humain est de reconnaître ce mécanisme qui s’auto-fabrique par ces noms auxquels il doit allégeance et déférence ! Il doit se les approprier pour en faire une histoire à l’intérieure de bien d’autres histoires dont les débuts et les fins en sont les déterminants principaux. Il voudrait connaître les conséquences de ces noms dont le sens a déjà été terminé. Ce qu’il ne découvrira pas. Les nominations n’ont jamais été une fin mais un début auquel il doit donner une terminaison afin de disparaître en eux comme le mort disparaît dans l’ombre de la terre profonde cherchant à jamais le sens de sa disparition. Lorsqu’il disparaît dans le sens du mot maintenu en lui comme une terminaison vient la distribution des expressions qu’il appelle afin de lui livrer sa signification : «le [système] marchand».

De quelques noms donnés à titre d’expérience pratique

Voici donc les noms que la société donnent. La suffisance des noms fournit le nécessaire minimum : faire vivre la société qui les délivre et remplir de noms les services d’une civilité qui ne veut pas connaître mais uniquement contrôler les noms qu’elle donne pour se glorifier de son existence propre. L’attachement aux noms des mots nous plongent dans une intériorité perpétuelle à laquelle il est difficile d’échapper. La seule porte de sortie est d’inventer une entité extérieure absolue. Elle seule permet, nous autorise de voir en-dehors de nous-mêmes.

Nous avons toujours espérer inventer des machines pour voir en-dehors de cette immersion afin de nous enseigner ce que nous avons oublié. Et nos mains, d’abord, tendent vers le ciel, vers ce lieu qui n’est pas immergé non déterminé par la clôture. Puis déçus, n’ayant pas trouvé grand chose, nous avons inventé nos propres machines chargées de nous transmettre cet en-dehors, de nous sortir de cette immersion mais les machines tout comme l’espace sans limites ne font que révéler la fin prochaine de la technologie, l’apocalypse moderne liée aux noms des choses : leurs quantités. Savoir est donc prédire une fin à partir de mesures qui reproduisent une image plus ou moins fiable de la réalité pour tenter de modifier la fin de cette réalité en quelque chose d’autre… Il y a toujours un en-dehors qui annonce une fin si le bon chemin n’est pas suivi à l’intérieur de la signification des noms des mots.

Voici que le nom se forme sur ce qui n’a pas de sens ; puis lui justifier ce sens en le transformant en espace du vrai. Une sorte de forme récursive qui prend sa source à la fois dans l’immersion et en-dehors de celle-ci !

Conclusion

En passant par la clôture, j’ai vu une porte ouverte et je suis entré. J’y ai découvert que les noms établissaient un lien avec les mots pour devenir des significations. Elles désiraient un sens déterminé alors qu’il n’y avait aucun sens et je me suis aperçu que cette volonté de terminer le sens ne venait pas de moi mais d’un monde dont je ne connaissais pas l’existence. Ne pas connaître, c’est être en dehors du [système] et de la clôture du sens. J’étais donc un ignorant.


  1. Lire Alain Dewerpe, Histoire du travail pour un panorama plus complet.

  2. voir nam shub, langage