Notes sur la notion de travail, 1

image d'illustration

Novembre 2022 : Je place ce texte dans la catégorie «controverses et contre vers» parce qu’il représente l’autre versant de mes éternels difficultés à intégrer mon «travail» au sein d’un «groupe de travail».

Ce long texte, en deux parties, est né de multiples rencontres d’un groupe informel de discussions (psychologues, psychiatres, travailleurs sociaux et chômeurs) durant l'année 2009 si je me souviens bien. Lorsque j’envoie ce texte de synthèse, je n’ai eu absolument aucun retour de la part du groupe. Encore une fois, mon expression n’a pas due correspondre à ce que ce groupe attendait, espérait. Du coup, cette synthèse je l’ajoute ici à la somme de mes différents échecs (?) en ce qui concerne ma perception du monde et du langage.

Partie 1, un travail flou

Je ne sais pas si c’est le terme “travail” qui est à définir ou à redéfinir afin de savoir ce qu’est le travail selon les perspectives de Marx (le travail est la logique du capitalisme qui se transforme en marchandise afin d’augmenter et de participer à la production) ou d’Anna Harendt (le travail appartient aux différentes activités humaines parmi lesquelles on peut distinguer le travail de l’œuvre) par exemple.  

J'utiliserai le mot « travail » comme nous l'utilisons quotidiennement, d'une manière floue. Nous parlons tous et toutes d'une manière floue sans amener de définitions précises quand nous parlons dans notre vie (sauf dans de rares cas).

Le travail  inclut différentes définitions qui peuvent aller de la réalité vécue comme une contrainte horaire, une moyen d’optimisation dans une chaîne de montage (le travail aliénant) à l’idéologie du travail (il est la condition même de la production des richesses du monde capitaliste) en passant par le concept du travail (la notion de travail devient une abstraction qui renvoie au concept qui le définit par le nom qu’il porte), à sa définition statutaire (le contrat de travail, le code du travail, le règlement intérieur) qui en fait un emploi ; au métier qui, lui, renvoie aux savoir-faire techniques acquis lors d’un apprentissage.

Nous le valorisons à la fois moralement et matériellement comme moyen d’émancipation de l’individu (être autonome par le gain d’un revenu régulier) mais nous le négligeons quand il s’agit de le vivre (arrêts maladies plus ou moins réguliers, souffrances psychiques, morales, critiques du système hiérarchique qu’il impose, petits chefs, etc).      

Mon but n’est pas de prendre une de ces définitions pour en étudier sa valeur et/ou sa véracité. De plus je ne possède pas les outils conceptuels suffisants pour m’attaquer à un tel « travail ». Ce qui m’intéresse, en outre, dans mes différentes analyses, est plutôt l’aspect technique, descriptif des différentes méthodes de transmissions d’un savoir qu’elles soient orales ou écrites. Je n’utilise pas la connaissance pour élaborer des concepts mais pour réutiliser, par imitation, ceux des autres1. Autrement dit, je garderai le mot « travail » dans sa globalité, dans sa logique floue afin de cerner les mécanismes dans lequel il s’insère. Ce sont ces mécanismes mêmes qui définissent un projet de société dans lequel le « travail » est un des éléments centraux.

Quand j’ai besoin de concepts afin d’arriver à  une analyse plus approfondie j’utilise alors la méthode descriptive de tel ou tel auteur dont j’apprécie l’approche conceptuelle. Ce qui ne veut pas dire que j’ai compris ou que j’utilise cette méthode d’analyse de manière efficiente. Dans le meilleur des cas, je l’utiliserai d’une manière relativement satisfaisante pour le but que je me suis proposé d’atteindre ; dans le pire des cas, j’espère que vous accepterez que ma manière erronée d’utiliser cette méthode est une incompréhension créative ou encore vous acceptez le fait que je puisse me tromper, ou encore ce que je dis n’exprime pas la vérité mais emprunte le chemin du vraisemblable, etc.

Qu’est-ce que le travail ?

En mon sens le travail se conçoit comme un ensemble à l’intérieur duquel se définit un certain nombre d’interdépendances qui valident comme ensemble le système qui se définit par ses interdépendances. Autrement dit le travail est l’un des éléments interdépendants d’un système plus vaste et complexe. C’est à travers la lecture  des ces multiples interdépendances qui fondent un tel système comme un mécanisme que des choix de société s’organisent et que nous privilégions tel type de machine plutôt qu’une autre, tel type de compétence plutôt qu’une autre, tel système politique plutôt qu’un autre, etc.

Aujourd’hui le travail englobe une série de représentations qui peuvent se décliner de différentes manières selon leur type de dépendance. Ce que je fais en écrivant ce texte est un travail. Mais pour pouvoir écrire ce texte, j’ai besoin au minimum d’une feuille de papier et d’un crayon. En conséquence pour pouvoir assouvir ma graphomanie, il faut que je sache fabriquer du papier et aussi un crayon. Or comme je suis quelqu’un qui veut prouver son intelligence non pas son savoir-faire, j’utilise un papier et un crayon fabriqué par d’autres personnes. Ce qui m’évite de savoir comment ils sont fabriqués et d’avoir à le faire, laissant la maîtrise de cette technique à d’autres. Ce qui me permet de me concentrer pleinement sur ma graphomanie et mon envie de prouver mon intelligence.

De la même manière. L’ingénieur qui conçoit un outil exerce aussi un travail. L’ouvrier qui utilise l’outil inventé par l’ingénieur afin de modifier la fabrication d’un produit exerce, lui aussi, un travail. Le directeur qui a eu l’idée de fabriquer un type de produit utilise un certain nombre de machines outils qu’il place en un lieu précis  ; son travail est à la fois de fabriquer le produit et de tirer profit de ce produit pour son bénéfice propre et aussi pour payer les personnes qu’il emploie selon un contrat. Il peut aussi transmettre son idée à une entreprise qui se chargera de fabriquer entièrement le produit ou il peut encore utiliser une chaîne de fabrication étalée dans plusieurs usines pour fabriquer son produit. Chaque usine fabriquant une partie du produit. Le contrat est librement établi entre le directeur et/ou l’ouvrier et/ou un autre directeur d’une autre usine qui accepte les conditions du contrat dont le but est de prévoir la fabrication du produit ainsi que la rémunération des personnes intervenants dans le processus de fabrication.

L’architecte a fabriqué le lieu dans lequel se trouvent regroupées un ensemble de machines outils ainsi que des bureaux dénommé sous le nom d’usine et/ou d’entreprise. Ce lieu doit disposer d’une autonomie en terme d’énergie, c’est-à-dire, il ne peut pas dépendre des éléments naturels pour faire fonctionner les machines : forces du vent, de l’eau, humaine lesquelles ne sont pas constantes. Il a donc besoin que d’autres personnes fabriquent ou créent un système énergétique indépendant des forces naturelles afin de pouvoir fournir la puissance suffisante nécessaire à la fabrication de son produit de manière continue et instantanée. Si cette énergie est fournie en quantité suffisante dans le temps alors le directeur peut modifier le mode de travail des ouvriers en faisant intervenir plusieurs équipes différentes à différentes heures. Les capacités de veille humaine n’étant pas constantes mais reposant sur un rythme propre, le rythme de travail est adapté au rythme des machines par une série de roulements d’équipes.

Les relations sociales liées au travail

Nous savons tous et toutes que les relations de travail ne sont pas des relations sociales normales en ce sens où les relations sociales normales ne sont pas mues par des contrats entre personnes, une spécialisation (si je sais faire cela alors nous nous entendons), une hiérarchie (directeur, ouvrier), une contrainte horaire (quoique dans certains cas, cela est vrai pour quelques personnes). Le travail fabrique, à son tour, un ensemble de relations humaines qui ne sont pas basées sur l’entente, l’affinité, l’amour, la liberté, l’égalité et la fraternité. Les relations de travail sont des relations qui mettent en avant une organisation sociale où l’autre n’est pas l’égal de l’autre fondées le plus souvent sur une hiérarchie. La hiérarchie est la base du principe d’inégalité. La hiérarchie implique qu’une personne soit considérée comme celle qui donne la direction, le but mais pour faire jouer cette idée d’inégalité en ce sens qu’elle est, symboliquement, au-dessus de l’autre, elle a aussi besoin de personnes qui ne disposent pas des mêmes compétences directionnelles et qui acceptent implicitement, à défaut de le faire explicitement, qu’elles ne disposent pas du même niveau de compétences quand bien même ces mêmes personnes savent donner des directions, par exemple, au sein de leur famille ou dans une activité extérieure (activité associative)2.

Pour faire accepter l’idée de hiérarchie, il faut qu’il y ait un système ad-hoc qui inscrit comme normal ou logique qu’il y ait des personnes qui ne disposent pas du même niveau de compétences ou de spécialisation. Si, de ce fait, une personne est capable d’assembler un ensemble de personnes différentes avec des compétences différentes (ingénieur, ouvrier, architecte) alors le système prouve lui-même qu’il a raison. Autrement dit ce système se justifie par lui-même en créant les conditions de sa propre justification. Pour se justifier lui-même ou s’affirmer en tant que tel, ce système va donc mettre en place une forme d’éducation qui va évaluer le niveau de compétences des personnes en fonction des besoins hiérarchiques nécessaires à la justification d’un tel système.

La connaissance du travail

Une personne qui disposera naturellement d’une inclination vers les mathématiques suivra un cursus de type scientifique où on lui fera comprendre qu’elle disposera de débouchés sérieux en terme de travail. Une personne qui disposera naturellement d’une inclination vers la poésie suivra un cursus de type littéraire où on lui fera comprendre qu’elle ne dispose pas de débouchés sérieux en terme de travail. Elle devra accepter de travailler avec d’autres personnes qui la rassureront en lui affirmant qu’elle est, quand même, un/e intellectuel-le. La classification en terme de compétences pour un type de travail se produit tout au long de la période d’éducation appelée aussi scolarisation. Ici le terme d’école ne sert pas à faire de l’éducation une vertu au sens de la «Paideia» Grecque. Ce qu’elle cherche à faire est à fournir un minimum, savoir lire et écrire. Ensuite elle s’attache à trier selon des grilles de capacités et de compétences les rôles sociaux de chacun au sein de la société du travail. Une personne que l’on destine être un ouvrier n’a pas besoin de connaissances culturelles approfondies. Cela est réservé au directeur. On ne dit jamais que le destin d’une personne est d’être un ouvrier ; pour cela il y a un système éducatif complet qui se charge de faire ce travail-là.  Et on le sait très tôt que cet enfant n’ira pas très loin en termes d’études.

Dans une telle société le directeur comme l’ouvrier ne disposent d’aucune profondeur en ce sens où la connaissance doit être un leurre afin de faire croire qu’il existe une culture propre à ce système qui s’intéressera essentiellement à des formes appauvries de la connaissance comme le comportement, la psychologie de surface, l’accumulation de connaissances comme méthode mnémotechnique mais pas d’utilisation efficiente de la connaissance :

Les différents mécanismes de la connaissance sont bloqués par un ensemble de pseudo analyses qui transforment les capacités mêmes de la connaissance en quelque chose de difficile à approcher réservé à une élite intellectuelle qui sait quelque chose que, vous, vous ne savez pas. Ce principe repose sur le même mécanisme que celui qui a été utilisé autrefois afin de modifier la portée de certains textes dits « actifs » que ce soit pour des raisons religieuses ou politiques afin de garder dans un lieu secret une forme de connaissance différente. Ce qui débouche sur deux phénomènes culturels intéressants évoluant au fil des siècles mais reposent sur le même objet fondamental :

Enfin une autre technique, plus subtile, consiste à écrire un texte afin d’expliquer les articulations de ces mécanismes : le lecteur, la lectrice en déduit automatiquement que l’auteur en sait plus ou qu’il dispose d’un accès au savoir auquel il ou elle n’a pas accès. De tels mythes viennent justifier par eux-mêmes que la connaissance est quelque chose qui s’acquiert difficilement ; il faut suivre des étapes et des épreuves parfois difficiles, mais celui, celle qui y parvient peut jouir d’un vrai trésor : le salaire. Le mythe dit, bien évidemment, que ce qui est gagné véritablement est la connaissance en terme de sagesse voire d’immortalité… et pour les enfants, c’est le prince charmant et/ou la princesse charmante…

En-dehors du savoir mécanique et technique lié à son application scientifique, toute connaissance ne doit pas être vue comme une application technique et mécanique, mais comme une expression littéraire plus ou moins psychologique de soi. D’ailleurs celui qui se révolte contre le système d’un contrat de travail injuste, s’il ne dispose pas des savoirs mécaniques et applicatifs liés à la législation du travail, est considéré comme un doux rêveur, et, le plus souvent, comme un adolescent attardé.

Le travail comme savoir spécialisé

De tels dispositifs ont pour but de transformer la connaissance même des mécanismes et de leurs fonctionnements en relations interdépendantes à la fois segmentées (il ne peut y avoir qu’une connaissance spécialisée) et dépendantes d’une technique spécifique (connaissance du mécanisme des textes de lois, connaissance du mécanisme des composants électriques ou électroniques nécessaires à une machine).

Pour une connaissance dont la technique doit aller de plus en plus vite, elle ne peut se satisfaire de dispositifs et de techniques plus lentes comme le langage alphabétique qui demande une acquisition sur plusieurs années. Dans plusieurs traditions et autres mythologies classiques, celui qui sait, qui connaît est un vieux sage ayant acquis la connaissance pendant de nombreuses années.

Au contraire, elle doit « comprimer » en quelque sorte la connaissance afin d’augmenter les capacités techniques dans le but de développer des « forces ». Les premiers essais concluants furent obtenus avec le moteur et le mouvement de translation, puis l’engrenage et enfin le langage binaire.

Ces mécanismes ont pour but de réduire la complexité du langage et de la connaissance à des objets simples qui peuvent être appris facilement. L’ingénieur est issu de l’apprentissage de ces principes simples. La mécanique se réduit à un mouvement de translation. Il suffit de coupler à cette translation une courroie ou un engrenage pour créer un mouvement circulaire. Le langage binaire est un langage basé sur le principe électrique de l’interrupteur. L’interrupteur est le système qui, dans un circuit fermé, permet de couper ou non ce même circuit fermé. 1 = le circuit est fermé, le courant passe. 0 = le circuit est ouvert, le courant ne passe pas. La grande nouveauté apportée à ce principe technique est la capacité de retenir les états électriques à un moment donné dans un système de stockage (mémoire) capable de conserver ces états et de les reproduire à n’importe quel moment.

Ces techniques reproduisent un ensemble de forces physiques basiques comme la rapidité, la puissance, le déplacement de masses, la fluidité, etc. Ce qui colle parfaitement aux besoins du directeur et de son usine qui a besoin d’outils de transformations de la matière, d’une énergie constante et instantanée, etc. L’autre conséquence est de faire l’ensemble des forces physiques la base de notre système de connaissance, et, de mettre de côté l’ensemble des « forces » biologiques. La biologie étant réduite à un autre mécanisme où chaque partie défectueuse peut être éventuellement remplacée par une autre moins défectueuse voire remplacée par un produit mécanique imitant l’original3.  

La connaissance s’acquiert en terme de cycles. Un ouvrier apprendra son métier dans un cycle court, un directeur dans un cycle un peu plus long, mais les deux sont nettement délimités par la période scolaire. En-dehors de cette période, ce sont les connaissances acquises pendant cette période qui devront servir de base au travail et au moyen de trouver une rémunération. La conséquence d’un tel système est l’impossibilité de rater sa période scolaire sous peine de rater sa vie professionnelle. Ce qui demande, en retour, une exigence certaine de la part des parents qui auront peur que leurs enfants ratent cette période cruciale de leur vie, surtout dans les milieux les plus modestes ou tout sera fait pour quitter la condition d’ouvrier des parents sauf que le rêve de monter dans l’échelon social relève du mythe. Dans les milieux plus aisés, cette condition est plus souple, au pire des cas si l’enfant est mauvais ou ne travaille pas assez il pourra toujours bénéficier du travail de ses parents et reprendre la suite comme on dit.

Sans travail, la pauvreté apparaît4

Nous venons de voir la situation idéale où le système, même avec ses défauts les plus grossiers, est censé fournir un travail à tout le monde. Au moins au plus grand nombre, pourtant, le pauvre a toujours été là, sous-entendu même si on ne parlait pas de lui explicitement. Dès le moyen-âge, la société distingue les pauvres en deux catégories, les pauvres résidents et les pauvres de passage : les mendiants et autres vagabonds. Est distinguée la population connue, celle que l’on peut répertorier, contrôler de celle qu’on ne peut pas contrôler ni répertorier, qui est de passage. Cette fluidité empêche de savoir qui sont ces mendiants, ces vagabonds d’où des lois de plus en plus répressives qui chercheront à mieux cerner et à mieux connaître ces populations insaisissables.

Le pauvre se définit par une série de manques : manque de vêtements, manque d’éducation, manque de logement, de revenus par la propriété ou le travail. Les systèmes d’aides sociaux veulent remettre le pauvre au « travail » dès le XVIe siècle où l’esprit du capitalisme se développe avec l’idée du « travail » comme moyen de tirer le pauvre hors de sa condition initiale et où se laïcise l’aide sociale qui remplacera petit à petit la charité chrétienne.

La situation de la pauvreté est fortement liée à plusieurs facteurs :

La notion d’exclusion

En ce qui concerne la notion d’exclusion, on a beaucoup parlé d’exclusion en parlant du RMI (Revenu Minimul d’Insertion). Que faut-il entendre par ce terme ? La société bourgeoise met en marge une certaine partie de la population qui ne correspond pas aux règles qu’elle définit. Dès lors l’exclusion est la conséquence logique de la marginalité puisque le pauvre n’appartient pas au groupe social dominant. Le pauvre étant placé dans les marges de la société et, parfois, se retrouvant sans travail, que ce soit volontaire ou non, il se retrouve exclu de l’épanouissement du capitalisme industriel par le biais du travail.

Le discours politique se placera à la fois dans un discours idéologique mais aussi dans un discours d’aide et d’accompagnement afin de respecter la mise en scène de la pauvreté. L’idéologie politique moderne tente toujours de mettre en scène la pauvreté, mais grâce aux différents outils d’information et de communication, celle-ci se met en place moins facilement quand bien même la rhétorique est toujours très forte7.

Le travail comme objet moral

Autrefois le travail n’était pas une bonne chose. Il était l’apanage des gens de peu, des paysans. Les richesses seigneuriales ne travaillaient pas au sens où nous l’entendons aujourd’hui. Ce sont les multiples activités marchandes développées dans les sociétés pré-industrielles qui firent du travail une place centrale. En même temps que se développaient ces activités marchandes ainsi que les différents corps de métiers auxquels la société marchande faisait appel, l’activité des banques ou de la gestion et du transfert de capitaux se développait aussi.

Ces activités complémentaires vont être à l’origine de nombreuses transformations sociales, politiques et morales. Le travail va prendre une place centrale à une tel point qu’il est aujourd’hui presque impensable d’imaginer une vie sans travailler. D’ailleurs la question du « Que fais-tu ? » indique la place central que le travail tient. Ce qui nous permet de rappeler que l’activité du travail est corrélative à l’activité financière donc aux transferts et aux échanges de capitaux, de l’activité salariale vers la banque, activité financière, et réciproquement, de l’activité financière vers l’activité salariale par la biais de produits spécifiques comme l’épargne ou le crédit. Ces deux activités basiques sont plongées dans l’activité plus générale de l’économie quand bien même il existe aussi des activités de spéculations dans l’activité financière mais cela me dépasse totalement…

Le travail est l’objet central par lequel s’effectue le principal transfert de capital en ce sens où c’est le métier acquis qui va définir le taux de transfert entre la personne qui exerce un emploi grâce à son métier et l’entreprise qui paye le salarié.

Dans un tel système, il est quasi logique que ce sont les désirs et les volontés de l’individu qui doivent être mis en avant même si ce dernier parle de son égoïsme inconditionnel. Ce qui l’oppose farouchement aux politiques traditionnelles d’un état providence qui demande par le biais de cotisations à la fois salariales et patronales, la mise en place d’un système d’aide sociale commun qui doit venir en aide pour tout le monde.

Nous le voyons depuis de nombreuses années, l’ensemble des acquis sociaux sont perpétuellement mis en cause et tendent à disparaître doucement mais fermement parce que c’est ce que veut l’individu qui travaille. Ce n’est pas le partage de son salaire avec d’autres par le biais de cotisations, mais un retour sur son investissement personnel. C’est à dire que cet argent qu’il dépensera en plus de son salaire lui revienne pour lui uniquement non pas pour la société entière. La société marchande qui sait toujours entendre la voix de l’individu propose, en retour, des aides sociales personnalisées et privées. Ce qui, à son tour, met en danger le système des cotisations sociales ainsi que toute politique basée sur ce principe. Dès lors les politiciens, s’ils veulent ne pas perdre les élections sont obligés d’affirmer qu’il faut réduire les cotisations salariales et ainsi de suite.

Cette moralisation du travail est une moralisation inversée où est prônée d’abord la morale de l’individu qui se bat pour lui-même non plus pour les autres. D’ailleurs l’a-t-il jamais fait ? Ce qui lui permet d’affirmer que cette tendance politique qui veut mettre en place un état providence est l’objet d’une politique élitiste, qui prétend connaître le bien être des individus alors que ce que veut l’individu est sa propre survie dans un monde individualiste et hostile où tout le monde est mis en concurrence perpétuellement, méprisé et oublié. Il veut assurer la survie de sa famille et de sa descendance. La conséquence logique de tout cela est, vous vous en doutez, qu’il n’y a plus de société mais qu’une somme indéterminée d’individus qui se regrouperont selon des principes affinitaires et tribaux où tous les échanges sociaux se réduiront à des échanges individualisés et individualistes où l’on pense d’abord à soi avant de penser à l’autre. La liberté individuelle est telle qu’il n’y a pas d’autre moyen d’existence que l’affirmation de sa propre atomisation salariée comme objet fondamental de sa vie personnelle. Celui, celle qui réussit sa vie est celui, celle qui réussit à faire de son égoïsme l’objet de sa propre activité salariée.

La conséquence logique de tout cela est qu’il n’est plus acceptable qu’une personne se retrouve sans travail ou qu’elle ne dispose pas des moyens de flexibilité, de fluidité qui lui permettraient de trouver un activité salariée. Pourtant il existe une contradiction fondamentale dans cette organisation aux apparences si évidentes : le chômage.

Dans une société d’individus où s’optimisent par la libre concurrence dans un marché libre des contrats salariés entre individus libres, nous oublions de dire, en somme, que c’est le premier arrivé qui a le boulot ou qui est le premier servi. Les autre devront se débrouiller par eux-mêmes. En France, il y a encore un système d’aide sociale qui permet aux individus les moins performants de pouvoir survivre. Ce système d’aide sociale se résume à deux formes :

Ce sont ces deux cas qui vont retenir notre attention pour la partie 2.


  1. Pour ceux, celles que ce type de position intéresse je vous renvoie aux fameuses disputes littéraires de la renaissance Italienne qui se demandaient s’il fallait avoir son propre style ou s’il fallait imiter le style d’un personnage célèbre comme celui de Cicéron par exemple.↩︎

  2. «Je dis que l’amour est l’émotion qui constitue les phénomènes sociaux ; lorsque l’amour s’arrête, les phénomènes sociaux s’arrêtent. Les interactions et les relations qui ont lieu entre les systèmes vivants sous d’autres émotions différentes de l’amour, ne sont pas des interactions sociales ou des relations sociales. Par conséquent, quand je parle d’amour, je ne parle pas d’un sentiment, ni de bonté, ni ne recommande la bonté. Quand je parle d’amour, je parle d’un phénomène biologique. Je parle de l’émotion qui spécifie le domaine d’actions dans lequel les systèmes vivants coordonnent leurs actions d’une manière qui implique une acceptation mutuelle, et je prétends qu’une telle opération constitue un phénomène social.[…] Nous, êtres humains, existons, en tant que tels, dans le langage. Pour cette raison, les systèmes sociaux humains sont des systèmes de coordinations d'actions dans le langage ; c'est-à-dire qu'ils sont des réseaux de conversations. En conséquence, différents systèmes sociaux humains, ou sociétés, diffèrent dans les caractéristiques des différents réseaux de conversations qui les constituent. En même temps, l'expérience quotidienne nous montre que nous nous affectons les uns les autres dans nos corps à travers notre langage et nos émotions au cours de nos conversations. […] Si l'émotion est l'amour, c'est-à-dire si l'émotion en jeu est l'émotion qui constitue l'opérationnalité des interactions récurrentes dans l'acceptation mutuelle, alors la communauté est un système social ; si ce n'est pas le cas, si c'est une émotion qui n'implique pas d'acceptation mutuelle, alors la communauté est une communauté non sociale. Si l'émotion en jeu n'est pas l'amour, mais celle qui donne lieu à des coordinations d'actions qu'un observateur considère comme des engagements pour l'accomplissement d'une tâche, alors la communauté est une communauté de travail ; si l'émotion en jeu est celle qui donne lieu à des coordinations d'actions qu'un observateur considère comme un comportement d'obéissance, alors la communauté est une communauté hiérarchique. De plus, nous, êtres humains, participons à de nombreuses communautés différentes qui se constituent sous différentes émotions en tant que différents réseaux de conversations qui, bien qu'indépendants en tant que domaines de coordination d'actions, s'affectent mutuellement par l'intersection de leurs réalisations dans nos corps.» (In Humberto Maturana, Reality: The Search for Objectivity or the Quest for a Compelling Argument, traduction & affinements personnels. L’emphase est de moi.)↩︎

  3. Michel Bounan, Le temps du sida, 1989, éditions Allia. Aujourd’hui, son analyse sur le sida est très critiquée. Il faudrait replacer ce livre dans le contexte des années 80 où la pensée de Debord dans les milieux critiques était encore très prégnante, et, constituait l’outil de base de toute critique sociale depuis le Capital de Marx. La pensée de Debord était souvent vue comme étant la dernière analyse de type Marxiste valide. Tout le monde attendait un peu le nouveau Debord, et, dans le meilleur des cas, le nouveau Marx qui se fait toujours attendre. Michel Bounan connaissait bien Guy Debord. Dès lors qu’il étende cette analyse à la marchandisation du vivant en est une conséquence logique. De ce point de vue, sa filiation directe avec Guy Debord prolongeant l’analyse Marxiste au-delà du spectacle me semble tout à fait pertinente et originale quand il l’applique au domaine biologique.↩︎

  4. Cette partie s’inspire de l’ouvrage d’André gueslin, Gens pauvres, pauvres gens dans la france du 19e siècle, 1998. Aubier↩︎

  5. Voir note 4, ouvrage cité, p 41↩︎

  6. Voir note 4, ouvrage cité, page 45↩︎

  7. Dénoncer cette rhétorique aura été l’un des grands combats de l’association APCD.↩︎