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L’entre mondes des reflets, première partie

Les données reflétées1

Dans un environnement, il y a des choses vraies, d’autres fausses2.

Le domaine de validité du « monde » pour cette problématique signifie qu’il s’agit du monde des Humains, de l’environnement dans lequel ils sont plongés, de leurs interactions et de leurs questions.

L’environnement, c’est la niche biologique3 avec laquelle des êtres vivants interagissent de manière récurrente avec cette dernière. Ces interactions récurrentes peuvent faire apparaître deux domaines spécifiques : celui de l’expérience et celui de l’expression de cette expérience. Autrement dit, lorsqu’un être vivant, par l’ensemble de ces interactions continuelles et répétées, associe le domaine de l’expérience à celui de son expression, il ou elle finit par se demander s’il ou elle ne sait pas quelque chose.

Il va de soi que s’il ou elle était seule il ne pourrait pas se douter qu’il ou elle sait quelque chose. Ce qui veut dire que ce qui sera validé ou non en terme de savoir puis de connaissance ne peut se faire qu’en présence d’un autre être vivant disposant des mêmes caractéristiques cognitives.

C’est par le domaine de l’expression, en l’occurrence le langage, pour l’être vivant humain, que ce dernier atteste qu’il ou elle n’est pas seul.e, et, que ce qui le délivre de l’isolement est cette chose qu’il partage avec d’autres : un ensemble de signaux distinctifs qui transpose son expérience de vie personnelle en expression commune de cette même expérience.

Dès lors, une question fondamentale se posera (à lui ou elle) comme une évidence : “mais qu’est-ce que signifie ce domaine de l’expérience qui est propre à chaque être humain pourtant partagé par plusieurs autres, et, en plus je peux en dire quelque chose ?”

Une des réponses les plus évidentes sera de nommer ce domaine de l’expérience vécu par chacun, chacune, mais partagé par tout le monde : le réel. Ce réel est donc un moyen d’exprimer qu’il y a quelque chose en dehors de l’expérience vécue par chacun.e qui serait commun à tous et à toutes, mais qui ne serait pas l’expérience vécue individuellement.

En plus du domaine de l’expérience en tant qu’être vivant (les interactions continuelles avec une niche biologique) et de son expression (ce que je vis et ai vécu en tant qu’être vivant humain), il apparaît un nouveau domaine plus général dont la signification désigne une appartenance à un partage commun qui extirpe l’être vivant humain de sa naïveté individuelle où tout serait simple pour entrer dans une multiplicité d’interactions plus complexes.

A partir de cette conception, l’être humain exprime des séries de savoirs, de connaissances susceptible de répondre à la problématique de l’universel. L’universel étant la forme conceptualisée du réel, sa réplique, son image. Deux exemples de séries de savoirs, à tout hasard : la science, la religion. Mais ces outils généraux de la connaissance ne nous renseignent absolument pas sur ce biais : celui de savoir si l’univers a attendu ou pas qu’il existe une entité biologique, humaine ou non, qui décrive une expérience issue de sa nature biologique comme image capable d’expliquer le fonctionnement de ce même univers qui lui préexiste.

Chacune d’elles, la science, la religion, se veut être un remède qui guérit notre blessure narcissique où nous comprenons que nous ne sommes pas seul.e.s en tant qu’entités biologiques, mais, en plus, qu’il existe quelque chose de plus étrange qui était là avant nous sans aucune forme de connaissance, de savoir.

Ce savoir-là, s’il s’avère être bien une connaissance, non pas une lubie extravagante d’une quelconque entité biologique perdue sur une planète isolée, est-il adapté aux approximations de cette même entité biologique ? La réponse est sans aucun doute “non” pour la simple raison que nous ne passerions pas notre temps à inventer des outils et des technologies spécifiques pour essayer de comprendre ce qu’il y a au-delà. Ce qui renvoie, en conséquence, à la manière dont nous pensons et utilisons ce que nous croyons savoir.

Avec l’apparition du réel, nous formulons une expression raisonnable de nous-mêmes, et, à l’aide d’une image, d’un cadre, nous fabriquons un universel qui introduit cette difficulté à expérimenter le commun et ses expressions multiples. Au cours de l’histoire, la raison sera définie comme un système de règles formelles qu’on utilise avant même d’en avoir conscience.

C’est ainsi que chaque être humain naît dans un monde qui lui préexiste déjà et avec un ensemble de règles qui sont déjà là et auxquelles il ou elle ne peut échapper. Autrement dit en plus de son domaine d’expérience en relation avec une niche biologique, l’être vivant humain doit acquérir un nouvel ensemble de relations et d’expériences : des règles formelles qu’il devra intégrer avant même d’en avoir conscience.

Les nécessités de l’histoire montrent que les lois de la raison sont invariables, veulent s’attacher au réel et se situent bien au-delà de l’aspect subjectif de la pensée individuelle. Il y a un être vivant qui change tout le temps, qui évolue et apporte des modifications sur ce qu’il sait tout en reconnaissant qu’il existe des principes de la connaissance qui ne changent pas. Ces invariants sont, le plus souvent, vus comme des lois qui tendent à définir un universel au cœur du réel.

La raison est donc un moyen de spécifier un phénomène (un type de relations) qui sera expliqué comme un point de vue caractéristique de l’expérience de vie d’une personne à travers la description de celle-ci. Cette description forge une méthode qu’il ou elle devra relater pour expliquer ce qu’il ou elle a vécu. Par cette méthode, il ou elle explicite son expérience de vie comme un mécanisme logique qui est une conséquence de ce qu’il ou elle a vécu afin de rendre explicable le phénomène qu’il ou elle décrit.

Si la description méthodique de son expérience de vie est considérée comme cohérente avec l’ensemble des règles formelles qui permettent cette description alors cette expérience peut être validée comme une connaissance appartenant au commun. Ces règles formelles apparaissent en conséquence comme un ensemble de références qui autorise l’existence du nous. Elles ne sont pas une affirmation solipsiste en-dehors de toute référence.

Ex :

Si je suis capable d’expliciter cette affirmation en transposant mon expérience personnelle par le biais d’une méthode spécifique qui utilisera des règles formelles communes et pré-existantes à mon expérience personnelle alors il y a de grandes chances que je devienne le futur prix Nobel ou autre de ce que vous voulez, mais si je ne suis pas capable de le faire alors cette phrase n’a pas plus de sens que le premier exemple solipsiste.

Etc, etc, et ainsi de suite.


  1. Ce texte est une version légèrement modifiée d’un précédent ayant servi pour un café philo dont le thème était la science. C’est pour cette raison qu’il tourne autour de ce sujet ainsi que les exemples.↩︎

  2. Voir l’horizon apparaît↩︎

  3. Version ultra simplifiée des travaux d’Humberto Maturana sur les conditions du réel.↩︎